Dipty Chander (E-mma) : « on m’a dit que l’informatique était pour les garçons »

Dipty Chander

Depuis son plus jeune âge, Dipty Chander rêve de travailler dans l’informatique. Pourtant, de nombreux obstacles se sont mis sur sa route. A force de ténacité et de passion, elle est parvenue à intégrer l’école Epitech pour laquelle elle préside désormais E-mma, une association visant à promouvoir la mixité dans le numérique. Elle nous parle de sa lutte pour attirer davantage de femmes dans le secteur.

D’où vous vient cet amour de l’informatique ?

Dipty Chander : J’ai toujours été fascinée par les ordinateurs. Nous avions un vieux Macintosh à la maison et j’adorais le manipuler. Dès qu’il était en panne, ma mère disait « il faut voir avec Dipty » et elle n’appelait même pas de technicien (rire). Lorsque je voyais sortir de nouvelles applis, j’avais l’impression d’être dans un film de sciences fiction. J’étais totalement fascinée, jusqu’au jour où j’ai compris que c’était ce que je voulais faire plus tard.

Mais vous avez rencontré de vrais freins pendant votre orientation…

Dipty Chander : Oui, lorsque j’ai dit à la conseillère que je voulais faire de l’informatique, elle m’a dirigée vers des études de Droit ou d’Economie pour saisir mes cours par ordinateur… ! Pour elle, les métiers techniques étaient réservés aux hommes, et d’autant plus inaccessibles pour moi qui étais une petite chose toute frêle. Cela m’a fait très mal mais je me suis dit qu’elle avait raison, que je n’avais pas le niveau, que ce n’était pas pour moi.

Malgré tout, j’ai continué à rêver en silence, je me voyais devenir un grand PDG comme Bill Gates qui parlait déjà d’Intelligence Artificielle et du cloud. Je trouvais cela magnifique. Alors j’ai dit à ma mère qu’un jour je serai là, ce à quoi elle m’a répondu : “je te le souhaite mais ne rêve pas trop”. Puis un jour, je suis allée à un salon étudiant avec une copine de ma sœur. Elle m’a demandé ce que je voulais faire et elle m’a parlé de l’école Epitech. Le hasard a voulu que le stand soit dans l’allée où je me trouvais, un signe ! Je savais que cela allait être compliqué pour ma famille de financer l’école, mais j’ai vu qu’il était possible de faire des stages et CDD en parallèle. Finalement, mes proches m’ont fait confiance, j’ai candidaté et j’ai été acceptée. J’étais folle de joie !

Arrivée dans l’école, comment avez-vous vécu de n’être que 4% de femmes ?

Dipty Chander : Avant d’entrer dans l’école, je n’en avais pas conscience. Je pensais que le plus dur pour moi serait le niveau. Durant la première semaine, je me suis retrouvée à faire des séances intenses de programmation dans une salle remplie d’hommes ! C’est une chose de parler du manque de mixité, et une autre de le vivre. Cela a engendré de vives émotions en moi. Ce n’était pas facile de m’imposer. J’ai dû faire mes preuves, travailler des nuits blanches entières pour m’en sortir. Heureusement, j’aimais ce que je faisais.

C’est ce qui vous a donné envie de vous investir dans la présidence d’E-mma Epitech ?

Dipty Chander : Partout en France, des jeunes filles vivent une expérience similaire à la mienne. Selon moi, la solution passe clairement par l’inclusion des hommes dans le processus. Ce sont pour nous les meilleurs ambassadeurs de la cause. Dès lors qu’ils entendent une remarque déplacée à l’encontre d’une femme, ils réagissent immédiatement. Pour les sensibiliser, nous avons axé notre discours sur la technique.

La faible présence des filles dans l’école puis dans l’entreprise est un dommage car très clairement, lorsque nous codons en équipes mixtes, nous avançons beaucoup plus rapidement. Avec E-mma, nous mettons certes en avant des rôles modèles féminins, mais aussi masculins. Des événements 100% féminins auraient l’effet inverse de notre objectif. Puisque les hommes et les femmes doivent travailler ensemble, autant les faire collaborer dès le début.

Vous envisagez aussi d’internationaliser vos actions ? 

Dipty Chander : Oui, d’ici trois semaines, nous lancerons E-mma dans les Balkans, puis à Berlin, Bruxelles, la Réunion et nous espérons les Etats-Unis en 2019. Cette question de la mixité dans la tech est mondiale. Sur le globe, seulement 2 à 3% des femmes sont diplômées dans l’ingénierie, les sciences ou les mathématiques. Nous devons travailler avec les gouvernements et les entreprises.

Vous agissez à la fois auprès des jeunes filles mais aussi des parents ?

Dipty Chander : Pour attirer plus de femmes le seul moyen est de passer par la formation afin de leur donner davantage confiance en elles. Nous sensibilisons le jeune public mais selon nous il ne faut pas non plus oublier les parents qui jouent un rôle crucial. 75% des métiers du futur n’existent pas encore aujourd’hui. C’est pour cela que nous organisons des ateliers pour les 7 à 77 ans afin de démystifier le code et le rendre plus ludique.

Pourquoi souhaitez-vous également impliquer les séniors ?

Dipty Chander : Ils ont tant à nous apporter ! Nous sommes d’une génération qui fait tout très vite. Les séniors nous aident à nous poser les bonnes questions.

Votre crédo c’est aussi qu’il n’est jamais trop tard pour changer de voie ?

Dipty Chander : Oui il n’est jamais trop tard pour rien. Il faudra simplement prendre un peu de temps pour se former. C’est aussi pour cela que nous organisons des hackatons pour des femmes qui ont des projets mais aucune compétence technique. En deux jours, elles vont pouvoir repartir avec une première version.

Vous agissez aussi auprès des entreprises. Pensez-vous qu’elles aient opéré un véritable changement de culture afin d’attirer plus de talents féminins ?

Dipty Chander : Certaines veulent réellement mettre en place de nouvelles façons de travailler, mais d’autres utilisent clairement la mixité comme un argument de communication et de marketing alors qu’en réalité, elles ne paient même pas de la même façon les hommes et les femmes à poste égal. On ne sait pas non plus ce qui advient des  millions d’euros qu’elles promettent de consacrer à la mixité. Cela est un très mauvais signal envoyé aux femmes.

Moi, ce ne sont pas les campagnes sur les réseaux sociaux qui m’intéressent. Ce qui est important, c’est de déployer un environnement inclusif, une parité dans les salaires et enfin d’intégrer plus de femmes dans les shortlists pour l’obtention des hauts postes. On sait que les femmes ne postulent pas si elles ne matchent pas suffisamment avec les compétences requises, il faut donc que les annonces soient davantage inclusives. Il faut aussi donner aux femmes le temps de monter en compétences et de se former en 6 ou 8 mois. Les femmes ont le même cerveau que les hommes, il n’y a pas de raisons pour qu’elles apprennent moins vite !

@Paojdo

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