Y a-t-il une “voix” de la réussite ?

Y a-t-il une "voix" de la réussite ?

En l’espace d’un demi-siècle, la fréquence des voix féminines a chuté de 3 à 4 notes. Parallèlement, de nombreuses études démontrent que les voix graves sont associées à des valeurs de compétence, de crédibilité, à la réussite, là où les aigües sont synonymes de frivolité. Comment expliquer ces constats ? Par quels moyens travailler sa voix pour gagner l’écoute de ses interlocuteurs ?

“En 2012, des chercheurs américains ont mené des expérimentations afin de déterminer l’influence de la tonalité de la voix sur le vote. Ils en ont conclu une préférence marquée des électeurs pour les candidats à la voix grave“. Pour Joana Revis, orthophoniste et chercheure au laboratoire Parole et Langage de l’université d’Aix-en-Provence, ce constat va dans le sens de nombreux autres travaux de recherche. Il démontre que plus la voix est grave, plus elle donne une impression de sérieux, de compétence, de confiance”.

A l’inverse, les voix aigües, souvent l’apanage des femmes, sont associées à la superficialité, au fait de minauder”, poursuit celle qui est également directrice pédagogique de l’école d’orthophonie de Marseille.

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Femmes : vers plus de gravité ?

Ainsi, les répercussions d’une perception aussi clivante de la tonalité vocale sont loin de se limiter aux choix des électeurs. “Dans le monde, les femmes sont largement sous-représentées dans les postes à responsabilité,” commentait en 2012 Casey Klofstad, l’un des auteurs de l’étude américaine, chercheur au département de sciences politiques de l’université de Miami. “La discrimination a beau être une cause évidente de cette sous-représentation, nos résultats suggèrent que les réactions aux différences biologiques entre les sexes constituent un facteur supplémentaire.” 

Consciemment ou pas, les femmes semblent s’en être rendues compte au fur et à mesure de la conquête de leur pouvoir, économique ou politique. Selon Jean Abitbol, chirurgien ORL et phoniatre, auteur du Pouvoir de la voix (éditions Allary), la fréquence des voix féminines a chuté en moyenne de 3 ou 4 notes, à 50 hertz en l’espace d’un demi-siècle. Une observation en écho à une “recherche d’égalisation des sexes”, argumente Yaël Benzaquen, cantatrice, auteure notamment de Tout connaître sur la voix (Ed. Guy Trédaniel).

Si l’on compare, par exemple, la femme américaine des années 50 à celle d’aujourd’hui, on se rend compte que le prototype féminin a changé, aussi bien dans ses courbes que dans sa représentation orale“. Exit donc la femme minaudante voire mielleuse du début du siècle, place à celle qui assume ses idées et qui va à l’essentiel, assure cette spécialiste. “Auparavant, à moins de s’appeler George Sand, il fallait se perdre en circonvolutions avant de faire passer une idée, “ ironise-t-elle. Elle en déduit qu’avoir une voix plus neutre permet, dans l’inconscient collectif, de disposer d’une place égale à celle du masculin”.

La voix : miroir de soi ? 

Des voix féminines plus graves pour s’adapter aux normes d’une société qui les a trop longtemps mises à l’écart? Certainement. Mais cette tendance répond également à des constats scientifiques avérés: « les ondes acoustiques graves pénètrent plus facilement l’espace, car elles sont plates », détaille Yael Benzaquen. « Du coup, nous les ressentons dans notre corps de manière vibratoire, ce qui est agréable. »

L’inverse des ondes aigües qui, elles « perdent beaucoup de leur caractère complet, sont généralement pauvres en harmonie, ce qui les rend facilement insupportables. » Pour cette spécialiste, la gravité du grain de voix aide donc à paraître plus agréable à son entourage et peut également permettre de gommer un minimum ses émotions, comme son stress. Car la voix reste avant tout le réceptacle de nos sentiments. « Dans notre cerveau, trois leviers permettent de gérer la voix », explique Joana Revis.

« La commande motrice servant à articuler les sons, la commande réflexe qui permet, par exemple, de s’arrêter de parler lorsque nous avons besoin d’éternuer, et enfin la commande émotionnelle : celle qui explique pourquoi vous hurlez dans un manège à sensations fortes et qui démontre donc à quel point la voix est intrinsèquement liée à nos émotions ». Des émotions venant directement du corps et dont les réactions biochimiques impactent parfois directement notre élocution. « Si vous êtes stressé, vos muscles se tendent, notamment ceux du larynx, » poursuit Joana Revis. « Votre voix est donc plus forte, plus aigüe ». Travailler sur sa voix passe donc essentiellement par un travail sur soi, sur le contrôle de ses émotions, de ses angoisses.

La puissance des silences

Ces conseils, Yael Benzaquen les profèrent régulièrement aux dirigeants et managers qu’elle coache. « Ceux qui ont, par exemple, une voix haute perchée, peuvent la rendre plus agréable en effectuant un travail de diction, de respiration», assure-t-elle. D’autant qu’une voix humaine normale dispose en moyenne de deux octaves de fréquences disponibles.

« De Jane Birkin, on ne fera jamais Barry White, » reconnaît Joanna Revis. « Mais nous avons la possibilité de descendre notre voix, la poser afin que les résonances produites dans le conduit vocal soit perçues comme étant plus graves. Par ailleurs, jouer sur la mélodie de votre voix, sur le rythme de nos paroles, contribuent à créer un climat plus apaisé. » Pour améliorer la manière de se présenter et l’image renvoyée à ses interlocuteurs, cette spécialiste prône ainsi une meilleure confiance en soi. « Il faut également travailler sur son calme intérieur », ajoute de son côté Yael Benzaquen.

Jouer sur le calme, mais également, assure-t-elle, sur les silences. « Comme en musique, les silences, dans une conversation, sont cruciaux. Nous devons savoir ponctuer nos propos », analyse la cantatrice. Même son de cloches du côté de Joana Revis : « le silence fait partie intégrante de la voix. Nous devons gérer nos pauses, notre respiration ». Des recommandations qui, reconnaissent-elles, sont de plus en plus compliquées à appliquer. « Beaucoup trop de jeunes passent leurs vies devant des écrans, » déplore Yael Benzaquen.

« Ils s’imaginent pouvoir parler aussi vite que leurs tablettes exécutent leurs ordres ». Conséquence selon elle : depuis que l’informatique a submergé nos sociétés, nous tendons à parler de plus en plus rapidement, alors que la vitesse voile notre voix de stress. Un point sur lequel, au moins, hommes et femmes sont sur un pied d’égalité…

Claire Bauchart

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