Mais quels sont les secrets des visionnaires Elon, Jeff et Steve ?

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Alors que la France et l’Europe peinent à faire éclore des licornes et encore davantage des titans, trois spécialistes de l’innovation se sont penchés sur les racines de cet échec cuisant. Leur ouvrage « Innover comme Elon Musk, Jeff Bezos et Steve Jobs » (Odile Jacob) nous livre une analyse très pertinente des facteurs de réussite de ces géants.

« Réglementer et taxer ce que l’on ne peut pas créer », tel est aujourd’hui l’aveu d’impuissance des autorités françaises et européennes face aux GAFA, regrettent les auteurs. Car le constat est sans appel : en 2018, sur 266 licornes (startups valorisées à plus d’un milliard de dollars), 131 étaient chinoises, 76 américaines, 14 européennes et seulement 1 française. 

Et si Emmanuel Macron a exhorté les entrepreneurs hexagonaux à sortir de la fascination pour le « Small is beautiful », force est de constater que nous perdons voix au chapitre. Car la question de fond est posée : souhaitons-nous réellement voir émerger des géants ? Pour Cyril de Sousa Cardoso*, l’un des auteurs du livre, cela est fondamental.

Mini Guide Leader

« Ce sont les géants qui produisent le monde de demain. Si nous ne faisons pas partie de la course, nous ne pourrons pas porter nos valeurs, qu’il s’agisse de notre modèle social ou d’écologie. D’ailleurs, le titre de notre livre pose une autre question : actuellement, le monde ne compte aucune super patronne », souligne l’expert. Or, leur émergence tout comme celle de leaders issus de la diversité est fondamentale pour ne pas foncer tête baissée vers un monde toujours plus monochrome.

Des entrepreneurs innovateurs

Sans tomber dans le culte de la personnalité, il est indéniable que les grands patrons comme Elon Musk (figure référente de l’ouvrage), Jeff Bezos, Mark Zuckerberg ou encore Steve Jobs sont les premiers instigateurs de leur immense succès. Et que la réussite de leur entreprise est irrémédiablement liée à leur destinée. En témoigne le rappel de Steve Jobs en 1995 à la tête d’Apple après qu’il en ait perdu le contrôle suite à une IPO, et l’incroyable ascension de l’entreprise dans les années 2000 sous son impulsion.

« On pourrait regretter que ces grands patrons attirent la lumière, mais en réalité, ils servent aussi de paratonnerre pour leurs équipes qui peuvent travailler dans l’ombre. Par exemple, pendant qu’Elon Musk était sous les feux des projecteurs après avoir polémiqué sur des tweets ou été filmé en train de fumer des substances illicites, son entreprise Tesla s’est tranquillement installée en tête du marché des véhicules électriques et autonomes », remarque Cyril de Sousa Cardoso.

S’entourer des meilleurs

L’autre trait caractéristique de ces visionnaires est qu’ils ont réussi à s’entourer des meilleurs et à les faire travailler ensemble dans un but commun. « Cela ne fait aucun sens d’embaucher des gens intelligents puis de leur dire ce qu’ils doivent faire. Nous enrôlons des gens intelligents afin qu’ils nous disent ce que nous devons faire », expliquait Steve Jobs.

De son côté, Elon Musk estime que « rien ne coûte plus cher qu’une erreur de recrutement ». Ce dernier cherche donc avant tout « des potentiels » avant des compétences, mais aussi des personnalités capables de travailler au service du groupe. « Lorsqu’il fait passer un entretien d’embauche, Elon Musk pose des questions parfois absurdes mais son obsession est de savoir quel est le mode de fonctionnement du cerveau de son interlocuteur », rapporte Cyril de Sousa Cardoso. A l’inverse, en France, combien d’énarques continuent à se présenter sous le prisme de leurs études… la quarantaine passée ?

Nul besoin d’être un génie lorsque l’on a le pragmatisme et la vision

Et pour s’entourer des meilleurs talents, les grands patrons doivent avant tout leur proposer une vision fédératrice. « Comme l’explique Hariri dans Sapiens, pour se connecter aux autres, l’humain doit partager une vision commune exprimée de la manière la plus simple possible », souligne notre interlocuteur. A ce titre, il est intéressant d’observer que les grands patrons comme Elon Musk ou Jeff Bezos se réfèrent grandement à la science-fiction avec SpaceX ou Blue Origin dans leur quête de colonisation de l’espace.

A tel point que l’on est en droit de se demander dans quelle mesure la science-fiction impacte la manière dont nous allons écrire l’avenir. Problème ? Elle est aujourd’hui la propriété d’hommes blancs, ce qui nous rappelle une fois encore l’importance de faire émerger davantage de diversité pour nourrir une vision différente de l’avenir.

L’importance de la gestion de la data

Dans un monde de plus en plus complexe, la gestion des données est devenue un facteur de réussite déterminant. Mal appréhendée, elle alourdit les organisations, process et business modèles. A l’inverse, les entreprises innovantes qui performent ont compris l’importance de traiter la data via un système d’exploitation partagé sur toute la chaîne de valeurs.

A ce titre, Tesla est une nouvelle fois un très bon exemple puisque sa gestion de la data permet d’améliorer continuellement les produits et de baisser les coûts de production. « Récemment, il y a eu un problème autour du système de freins et pour la première fois dans l’histoire de l’automobile, tous les modèles concernés ont connu simultanément une mise à jour de leur système à distance », illustre Cyril de Sousa Cardoso.

« La simplification est la sophistication ultime », Léonard de Vinci

Tout comme les process qu’ils contiennent, les objets fabriqués doivent tendre vers le minimalisme dans leur esthétisme. Steve Jobs estimait ainsi qu’un produit qui n’était pas beau en surface ne pouvait pas être bon, ce qui le poussait à retarder la sortie de ses nouveaux produits tant qu’il n’était pas pleinement satisfait du résultat. « Cela nous ramène à considérer que ce que l’on ne fait pas est tout aussi important que ce que l’on fait », analyse notre expert.

Pour arriver à la perfection, les titans n’hésitent pas à miser sur le design itératif afin de trouver la meilleure version du produit via un cycle incessant de prototypage, test, analyse et amélioration.

 « Grow fast or die slow »

Lorsqu’une entreprise enregistre une croissance annuelle de 4%, il lui faut environ 18 ans pour doubler son chiffre d’affaires. Le secret des super titans est au contraire de tabler sur une croissance à deux chiffres, avec des marges de 25% via une réduction drastique des coûts. « Ces grands patrons sont très critiqués mais malgré tout il ne faut pas oublier que tous sont partis de leur garage avec quasiment rien. Leur point commun est que leur but n’était pas d’empocher de l’argent mais de le réinvestir dans le projet dont ils estiment qu’il va changer l’avenir de l’humanité », poursuit Cyril de Sousa Cardoso.

A ce titre, plutôt que d’arroser ses actionnaires, Jeff Bezos liquide chaque année un milliard de dollars d’actions d’Amazon pour financer Blue Origin. Lorsqu’il était à la tête d’Apple, Steve Jobs n’était pas non plus très généreux avec les actionnaires à l’inverse de son successeur Tim Cook. « Une entreprise qui distribue des dividendes, c’est une entreprise qui n’a plus de projets pour innover. Par exemple, Apple aurait pu être précurseur sur la voiture électrique qui était déjà dans les cartons du temps de Steve Jobs, mais l’entreprise n’a pas su prendre le tournant », analyse l’expert.

La monétisation incrémentale de la technologie

Dans cette course à l’innovation, la chance des entrepreneurs américains est qu’ils sont soutenus par des investisseurs qui ne leur demandent pas un retour sur investissement à court terme comme c’est encore trop souvent le cas en Europe. Cela se traduit très bien par la différence de traduction entre « venture capital » (aventure) aux Etats-Unis et « capital risque » en France.

Pour autant, des entreprises ultra-innovantes telles que SpaceX ont réussi à générer très rapidement de la croissance et de la rentabilité en articulant l’innovation de rupture avec l’innovation incrémentale (qui améliore l’existant). « Par exemple, en créant une technologie pour réutiliser les lanceurs de fusées, SpaceX a dégoté des contrats avec la NASA pour envoyer ses satellites. Cela lui permet de générer de l’argent tout en continuant à plancher sur son projet final qui est d’envoyer des humains sur Mars à moindre coût grâce à la réutilisation des lanceurs », décrit l’auteur.

Automatiser sans déshumaniser

Pour baisser leurs coûts de production et générer des marges de 25%, les titans tentent d’automatiser tout ce qui peut l‘être. Faut-il craindre alors une déshumanisation du travail ? « Les titans ont grandement conscience de l’importance du capital humain car les individus auront toujours des facultés incroyables qu’aucune machine ne pourra égaler, puisque c’est l’homme qui programme la machine. C’est pourquoi ils travaillent énormément sur ce qui induit la motivation et l’engagement des salariés. Bien sûr, le risque est que l’engagement soit si fort qu’il conduise au burnout », tempère Cyril de Sousa Cardoso.

Selon lui, il existe cependant un modèle à trouver en sortant de l’ère du temps de travail pour évoluer vers celle de la valeur ajoutée au travail. Et d’ajouter : « Les gens n’ont paradoxalement jamais été aussi débordés qu’à notre époque, certainement car il faut stopper la course à la concurrence avec la machine ».

L’organisation ruche

Si le surengagement des salariés est un risque avéré chez les titans, il n’en demeure pas moins que leurs modèles organisationnels sont inspirants à bien des égards. A l’inverse des organisations en silos qui divisent les entreprises en services, les employés sont réunis par petits groupes de 7 ou 8 autour d’un projet, chacun apportant des compétences variées.

Adieu les réunions inutiles et les mails avec 10 personnes en copie, chacun doit faire valoir sa place sans se référer constamment à son supérieur. Le mot clef : l’autonomie. Chez Tesla, Elon Musk permet également à tous les salariés de le contacter directement à condition bien sûr que le sujet en vaille la peine (sous peine de prendre la porte) ! Il est aussi parti en bataille contre les jargons et autres acronymes afin que chaque collaborateur de l’entreprise puisse s’intégrer et interagir avec un service différent du sien facilement.

Quelques pistes pour changer l’écosystème français et européen :

Si la personnalité des entrepreneurs et les modes d’organisation sont au cœur de la réussite des titans, il est également important de souligner l’importance de l’écosystème dans lequel ils gravitent. C’est pourquoi les auteurs évoquent trois pistes pour accélérer l’émergence de superlicornes en Europe.

  • Favoriser et améliorer la reprise des pépites par les grands groupes qui peinent à les intégrer dans leurs structures, mais aussi faire émerger une place boursière de la même ampleur que le NASDAQ. Le but ? « Permettre aux investisseurs de revendre leurs pépites afin de créer un appel d’air pour réinjecter de l’argent dans la machine », explique-t-il. A ce titre, la présence croissante d’entrepreneurs à la tête des fonds d’investissement français et européens est un bon signal pour renforcer la prise de risques de ces structures encore trop frileuses et court-termistes.
  • Créer une structure publique telle que la DARPA (Defense Advanced Reasearch Projects Agency) qui a accompagné les projets les plus innovants comme l’ancêtre du GPS ou plus récemment SpaceX. « Aux Etats-Unis, le pouvoir public américain n’a pas hésité à miser sur des innovations de rupture alors qu’en France on n’aime pas jouer avec l’argent du contribuable. Le problème est que nous avons d’excellents chercheurs mais très peu de passerelles avec le monde de l’entreprise à l’exception de programmes comme Deeptech Founders », poursuit le spécialiste.
  • Enfin, la création d’une zone franche virtuelle mériterait une réflexion approfondie selon les auteurs, à l’image de ce qui existe dans le monde de la santé et permet d’expérimenter au delà des limites réglementaires. « Lever certaines barrières réglementaires sur le recrutement par exemple permettrait à ces entreprises d’être plus agiles », conclut Cyril de Sousa Cardoso.

@Paojdo

*Cyril de Sousa Cardoso, associé fondateur d’Audalom, est expert en méthodes de gestion de projets d’innovation, et spécialiste de l’histoire de la créativité et des inventions.

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