Dans Arrêtez de vous fixer des objectifs aux éditions Eyrolles, Anne Fourié remet en question notre obsession de la performance. Ancienne adepte des objectifs bien définis, elle a découvert leurs limites et adopté une approche plus fluide, axée sur l’instant présent et l’alignement personnel.
Dans cette interview, elle partage les déclics qui l’ont menée à cette transformation et nous invite à repenser notre manière d’avancer, sans pression ni frustration.
Vous avez longtemps cru aux bienfaits des objectifs, avant de remettre en question cette approche. Quel a été le déclencheur de ce changement de perspective ?
Anne Fourié : Est-ce que j’y ai cru ou est-ce que j’ai fait “comme tout le monde”, telle est la question. Je pencherai plus pour “parce que j’ai fait comme tout le monde“. J’ai baigné dans les injonctions de performance dès mon plus jeune âge et la notion d’objectifs était vue comme un de ses présupposés. Il fallait des objectifs scolaires, sportifs, de vie comme si bien grandir était impossible sans se fixer des objectifs.
En tant qu’adulte, j’ai continué de fonctionner de cette manière-là, d’autant plus qu’en tant que manager dans la grande distribution, la notion d’objectif était très présente. J’ai réalisé que fixer des objectifs – ou les accepter imposés – ne garantissait en rien leur réussite. Submergée par une multitude de buts, qu’ils soient personnels, professionnels ou sportifs, je ressentais une incohérence grandissante. Même en étant SMART, tous n’étaient pas atteints. Pire, quand je les atteignais, je passais vite à autre chose sans capitaliser sur mes réussites. Ce que je faisais, n’était jamais assez et j’avais le sentiment de ne plus être assez moi-même. Je développais au fur et à mesure de la frustration, de la déception et une carence d’estime de moi.
Le premier déclic s’est produit quand j’ai créé mon entreprise. J’ai dû “apprendre sur le tas” et j’ai navigué à vue. J’ai construit ma vision, c’est-à-dire la direction dans laquelle je voulais aller ; mais je ne me suis pas fixé de destination. Je voulais me donner le droit de grandir sans limites. J’ai été obligée pour la première fois de construire sur la base de qui j’étais, plutôt que sur la base de ce que je voulais.
Le second a eu lieu grâce à une cliente. À chaque début de processus de coaching, j’avais pour habitude de construire l’objectif avec mon ou ma coaché.e. Même si cette cliente avait très envie de pouvoir avancer sur son chemin, elle se sentait tellement bloquée dans le présent qu’imaginer l’avenir était impossible. Pour la première fois, j’ai accompagné sans objectifs. Ma cliente a pu se rencontrer et se recentrer pleinement sur elle-même. Elle a pu comme une plante s’adapter à son contexte au fur et à mesure pour ensuite pouvoir grandir dans les meilleures conditions.
À ce moment, j’ai eu le sentiment que tout ce que je croyais concernant les objectifs pouvait et devait être ré-envisagé. J’ai compris qu’il était possible de laisser le chemin se révéler au fur et à mesure de mes pas.
Dans notre société, on valorise la performance et l’atteinte de résultats mesurables. Comment peut-on trouver un équilibre entre ambition et bien-être ?
Anne Fourié : En arrêtant de se fixer des objectifs ! Être ambitieux n’implique pas forcément de se fixer des objectifs. On peut vouloir devenir un champion et considérer qu’on ne l’est pas encore ou on peut identifier ce qui fait déjà de nous un champion aujourd’hui et le faire grandir au quotidien.
Vous expliquez que l’obsession des résultats peut générer un cercle vicieux de frustration et d’insatisfaction. Comment en sortir ?
Anne Fourié : En revenant à nous, à notre identité, à nos compétences, nos valeurs, nos besoins, en construisant à partir de qui nous sommes dans l’instant présent. Mais aussi en capitalisant sur nos constructions progressives pour tirer les enseignements qui nous permettront d’en construire des plus grandes encore.
Si nous ne nous fixons pas d’objectifs, comment avancer dans nos projets et dans notre carrière ?
Anne Fourié : On peut tout à fait avancer dans nos projets en identifiant ce qui est important pour nous, ce qui correspond à nos valeurs. Et en identifiant notre “why“, notre pourquoi, celui qui est moteur de nos actions. Je crois bien plus à la mission qu’aux objectifs. Pour moi, les objectifs mettent le focus sur ce que nous voulons faire où ce que nous voulons avoir. Je crois sincèrement qu’il est plus sain d’avancer dans nos projets sur la base de qui nous sommes et en avançant dans la direction de notre mission.
Pensez-vous que les femmes ont tendance à s’auto-imposer des objectifs plus rigides que les hommes ?
Anne Fourié : Je ne suis pas certaine que les femmes s’imposent plus d’objectifs que les hommes, mais, de par leur éducation, elles ont appris à répondre à ceux des autres. La croyance qu’il faut toujours se montrer sous son meilleur jour et fournir plus d’efforts pour réussir peut accentuer cette pression.
De plus, elles subissent (pour le moment) une charge mentale supérieure à celle des hommes. Mais attention, ce sont bien les conséquences de ce que les femmes s’imposent elles-mêmes et je pense qu’il est important de renouer avec la notion de choix et de responsabilité.
Depuis que vous avez adopté cette philosophie, comment a-t-elle transformé votre propre vie ?

Anne Fourié : Je suis bien plus à l’écoute de mes besoins. Je suis plus adaptable et flexible mentalement. Le fait de sortir du carcan des objectifs me permet de garder une vision à 360 et de saisir des opportunités qui se présentaient sur mon chemin. Cela a été le cas pour la rédaction de mon livre. Je n’avais pas du tout prévu ce projet et pourtant quand il m’a été proposé, j’ai réfléchi et choisi en fonction de ce qui était important pour moi et en quoi cet ouvrage pourrait servir ma mission. Je l’ai accepté et j’ai repoussé d’autres projets sans aucune frustration.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui a peur de perdre toute motivation s’il arrête de se fixer des objectifs ?
Anne Fourié : De dissocier “objectif” et “résultat“. Arrêter de se fixer des objectifs n’empêche pas d’être motivé par l’atteinte d’un résultat. On peut se demander : “quel résultat suis-je capable de produire au vu de mes compétences et ressources du moment ?“. C’est plus motivant d’exploiter pleinement son potentiel dans l’instant T que de courir après un objectif lointain.
Cependant, si la personne qui me pose la question se sent épanouie en se fixant des objectifs, je l’inviterai à continuer ainsi. Ma vision est qu’il existe une manière plus respectueuse de soi et qui apporte plus de sérénité. Mais je ne pousse personne à changer une recette qui fonctionne.