Gouvernance d’entreprise : Y a-t-il un changement de paradigme ?

Gouvernance d’entreprise

La quête de démocratie actionnariale produit-elle une meilleure gouvernance notamment sur les sujets clés que sont la responsabilité sociale et environnementale et les questions de mixité. Eléments de réponse avec l’experte de ces sujets, Viviane de Beaufort.

La saison des Assemblées Générales 2017 est achevée. Forte des travaux menés au Centre Européen en Droit et Economie (www.CEDE-ESSEC) depuis 2012 et munie des statistiques du Grand Prix des AG de l’Institut du Capitalisme Responsable et de Proxinvest, je questionne les droits mais aussi le DEVOIR d’engagement des actionnaires pour que vive la démocratie actionnariale. Y a-t-il un déplacement du pouvoir du Conseil d’administration vers l’Assemble Générale, revendication portée tant par les textes à l’aune de la directive « shareholders » adoptée ce printemps que des acteurs ? 

Nota : ces éléments concernent le champ des entreprises du cAC 40 et parfoi le SBF120.

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Débat démocratique entre parties prenantes

Lorsque on y réfléchit, les conditions pour que dans une démocratie le citoyen s’intéresse et participe à la construction de la décision et soit partie prenante d’une gouvernance pérenne sont les mêmes que celles requises pour que l’actionnaire s’intéresse et participe aux décisions de l’entreprise pour que la démocratie actionnariale se développe[1].

L’engagement des actionnaires participe à un bon gouvernement d’entreprise comme la qualité de ces dirigeants, la transparence du processus de décision, la capacité à intervenir des parties prenantes, l’objectif étant d’aboutir à la décision la plus acceptable pour tous, prise au nom de l’intérêt social de l’entreprise. Un ensemble de mécanismes a été développé pour réguler les relations entre acteurs en cherchant à imposer la transparence mais aussi à protéger les actionnaires minoritaires avec. Enfin, des dispositifs de responsabilisation du management et des auditeurs complètent le système.

L’Assemblée Générale censée être un lieu de débat entre dirigeants, actionnaires, voire parties prenantes est souvent un non évènement, une chambre d’enregistrement. Il semble que son pouls se remette à battre à l’occasion de votes de résolutions sur le « say on pay », le double droit de vote et des questions concernant la stratégie et la RSE, dont la politique de mixité !

Peut-on parler d’Activisme dans les Assemblées Générales en France ?

Quelques signaux émergent attestant d’un bouleversement de la culture actionnariale et des équilibres de gouvernance entre la direction, le Conseil d’Administration (CS) et l’Assemblée Générale.

Le Vote contre une Résolution demeure rare avec un taux d’approbation global des résolutions élevé et peu de rejets (1,7% en 2017) mais sur le « say on pay», par exemple, le taux d’approbation baisse à 85,70% en 2017 et quelques résolutions ont été rejetées, dont celle concernant la rémunération de C.Ghosn qui a fait tant de bruit l’an dernier et justifié le dispositif Sapin 2. De même les dispositifs anti-OPA sont surveillés par les actionnaires et n’obtiennent que 73,16%. Les résolutions externes, rares et peu adoptées, elles concernent le cœur de la gouvernance: en 2016 chez Safran, une proposition des salariés portait sur l’affectation des résultats recueille 17.52%, chez Vivendi: une Proposition de PhiTrust pour ne pas conférer de droit de vote double adoptée avec un petit mais suffisant 50.06%. Même minoritaires, ces résolutions sont intéressantes car elles apportent souvent des points de vue alternatifs sur la stratégie.

C’est essentiellement au travers des questions que l’on identifie la détermination des actionnaires à obtenir les informations voire influencer la direction : 20,18 en 2017 : 21% concernent la stratégie et les perspectives, 9% la gouvernance et la rémunération , 9% les finances et les résultats , 22% l’activité et les métiers, 12% la RSE et le Développement durable, 15% la bourse et l’actionnariat et 5% d’autres thèmes.

L’AG deviendrait-elle progressivement un exercice de démocratie actionnariale avec 43 minutes de temps consacré au débat sur 161 mn en moyenne? Les dirigeants sont présents, entourés des administrateurs et des hauts cadres, interviennent et parfois certains prennent des engagements.

Alors que l’activisme est mal vu en France, car il a trait à l’influence relative d’actionnaires minoritaires usant des dispositifs légaux permettant de gagner un pouvoir indirect disproportionné aux titres qu’ils possèdent, il convient d’une part de relativiser, on est pas au Far West US où les balles pleuvent pendant les AG, d’autre part de s’interroger sur l’engagement de certains acteurs spécifiques qui créent le débat donc animent la démocratie amenant la direction de l’entreprise à anticiper.

Entre les investisseurs institutionnels qui préfèrent rencontrer les dirigeants off pour obtenir des changements (« the voice »), les fonds spéculatifs qui emploient parfois des méthodes plus brutales et au sein d’une 3è catégorie dite « autres actionnaires » se mélangent individuels, fonds de pension, Eglises, ONG etc. Il est évident que chacun poursuit des objectifs différents du rendement immédiat au capital patient et que chacun a ses techniques préférées[2]. On citera aussi l’influence croissante des agences de conseils en vote auxquels les institutionnels ont recours. (Dont en France, un acteur particulier pour son engagement Proxinvest qui peut faire office de « mouche du coche ».)

Selon le bilan du European Voting Results Report de 2015: la France est championne de la participation avec 70,2% contre une moyenne de 61,5%, championne du dépôt de Résolutions externes avec 21,7 (pour 14,9) et également championne des Résolutions rejetées avec 37 sur un total européen de 62. Le pouls se ranime….

L’activisme français est-il moralisateur ?

Tout pourrait prêter à penser qu’en France, l’activisme est teinté de morale : un contexte réglementaire qui incite à ouvrir le champ au non financier: Directive européenne sur le reporting extra-financier transcrite en juillet, loi Sapin 2, loi relative au devoir de vigilance ; opinion publique vigilante, conseils d’administration qui intègrent de plus en plus la RSE au cœur de la stratégie, procédant pour certaines entreprisessà l’ « Integrated thinking ».

Pourtant cette dimension semble peu intéresser la majorité des actionnaires: lors des Assemblées Générales du CAC 40, sur une durée moyenne de 2h47, 8,5 minutes ont été consacrées au Développement durable en 2016 ; depuis 6 ans le thème représente entre 9 à 12% des questions. Des interventions sociétales commencent t à se développer avec quelques acteurs engagés dont des ONG et les fonds ISR (fonds Phitrust, Novess) ou des filiales responsables de banques (Mirova).

Dans ce contexte passif, l’action d’un activiste change la donne : ainsi, sur la Mixité, sujet qui nous est cher, un pic en 2015 (92 questions au lieu de 4 en moyenne s’explique par une intervention de l’EWSDGE[3] qui a organisé un questionnement systématique dans des grandes entreprises cotées interpellant les dirigeants, sur leur politique de mixité globale. Cette mobilisation s’est poursuivie avec moins de moyens en France avec l’AFJE[4] , en 2017 et a permis quelques questions bien senties et surtout des engagements pris par la direction en public.

Ainsi Total « Notre objectif pour 2020 est d’avoir 25 % de femmes cadres dirigeantes et 20 % de femmes dans les Comités de direction (siège et filiales), contre 16 % à fin 2014 » ou la SG qui confirme « que 12,7 millions d’euros ont été consacrés à la suppression des écarts salariaux injustifiés entre hommes et femmes, à métier, niveau hiérarchique et niveau d’ancienneté équivalent dans l’entreprise, depuis 2008, montant qui a permis la correction de près de 7 500 situations individuelles.

Une enveloppe de 1,7 million d’euros y sera de nouveau consacrée en 2017 »[5]. La directive désormais applicable qui requiert dans le rapport non financier : « une description de la politique de diversité appliquée aux organes d’administration, de gestion et de surveillance de l’entreprise « » boostera les iniatives des entreprises à échelle européenne. Le texte peut constituer la base d’un questionnement précis par les actionnaires sensibles à ce thème. Parallèlement, la GenY entend avoir droit de regard sur ses investissements et cette tendance activiste s’adosse à une demande sur l’ISR.

Le caractère responsable devient un élément prioritaire de choix, c’est ce qu’établit une récente étude d’EY[6]. Alors actionnaires, si l’on vous dit que la RSE loin d’être un coût stérile est une condition de la pérennité de l’entreprises dont vous posséder du capital, qu’en dites-vous? Et dirigeant si l’on vous propose plutôt que gouverner dans l’anxiété de créer une démocratie actionnariale, enjeu important, à l’heure où l’actionnariat individuel diminue en France, alors même que ce sont les actionnaires qui s’intéressent à la pérennité de l’entreprise ? Changeons les règles du jeu avec la RSE comme levier de participation ?

 

[1] http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/qu-est-ce-qu-une-bonne-gouvernance-d-entreprise-720992.html

[2] Option droit des Affaires- N° 356 – Mercredi 31 mai 2017- ISSN 2105-1909

[3] European Women Shareholders Demand Gender Equality

[4] http://www.affj.fr/

[5] Document de référence 2017, chapitre 5, Responsabilité sociale et environnementale, « Encourager la diversité des équipes ».

[6] Sustainable investing: the millennial investor 2017, Ernst & Young

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