Regards croisés sur l’intrapreneuriat. Celui de Chloé Bonnet, founding partner et CEO chez Five by Five qui a accompagné plus de 250 intrapreneures et a créé le programme d’intrapreneuriat féminin 66Miles. Et celui de Rachel Dubour, intrapreneure chez l’Oréal qui vient de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale après 15 mois d’intrapreneuriat.
Le 30 mars dernier, elle quitte l’Oréal pour créer le 3 avril Match your talents, une start-up qui propose un concept innovant de signature vidéo. Un sacré gap psychologique pour celle qui a passé près de 20 ans à gérer des projets et développer des packagings, notamment pour la marque Lancôme. Toutes deux dispensent leurs conseils pour celles qui souhaiteraient construire un projet intrapreneurial.
#Se projeter dans l’avenir
Une intrapreneure doit avoir une vision de son projet à trois ans et avoir en permanence en tête la rentabilité de son projet. « Souvent elles ne veulent pas trop penser au futur. Ce qu’il faut pourtant, c’est le contraire : se projeter tout de suite et penser à ce qui vient après, pour mieux se préparer dès maintenant » signale Chloé Bonnet.
Et savoir si leur projet est lié à l’entreprise et a donc vocation à rester en interne pour devenir une nouvelle business unit ou une filiale. « Si on est dans un cas d’innovation adjacente, où l’intrapreneure va miser sur les actifs du groupe, s’y adosser tôt en décuplera les effets », admet Chloé Bonnet. Si l’intrapreneure a en revanche des velléités d’entrepreneure et si le projet a vocation à grandir à l’extérieur, elle doit être prête à lâcher l’entreprise quand il le faut. Rachel Dubour a sauté le pas en prenant un congé création d’entreprise au bout de 15 mois.
Consciente de l’ampleur de son projet, elle a choisi cette option pour anticiper un éventuel retour. « Juridiquement je suis encore un collaborateur sans salaire et peux donc retourner dans l’entreprise en cas d’échec ».
#Sortir de sa zone de confort
L’intrapreneure doit changer de mentalité pour gagner en autonomie, provoquer les rencontres et cultiver son réseau. « Avant, j’étais un bon élément l’Oréal, témoigne Rachel Dubour. Je faisais du réseau pour faire évoluer ma carrière mais j’étais dans un environnement bien cadré et guidée par les process. Quand on se lance dans l’aventure intrapreneuriale, on devient acteur et maître de sa carrière ».
L’intrapreneure doit accepter de « revenir sur les bancs de l’école et refaire sa réputation ». Elle doit en quelque sorte être schizophrène pour pouvoir jongler entre intrapreneuriat et entrepreneuriat et trouver un compromis entre les deux. Une intrapreneure doit se conduire comme un entrepreneur qui porte son projet à l’extérieur mais également s’adapter à la politique interne de son entreprise, être à l’écoute des contraintes du système pour avoir le soutien de son organisation.
#Bien gérer son temps…
L’intrapreneure doit tout gérer en même temps et accepter d’avoir un rythme de travail soutenu. « Il faut être prêt à faire des extras, surtout sur la phase de défrichage où l’interne connaît encore peu le projet et a la double casquette salariée-intrapreneure » signale Chloé Bonnet. Même si l’intrapreneure est détachée à 20 ou 30% de son travail d’origine, il n’est pas toujours facile de maintenir un équilibre.
« Le run continue et il faut bâtir, se forcer à prioriser le quotidien. » Rachel Dubour a décidé de sauter le pas pour mener son projet d’entrepreneur. « En tant que salariée, je manquais de crédibilité pour aller chercher des clients. J’étais arrivée à un point critique où je devais me consacrer à 100% à mon projet pour le faire avancer. »
#…Et son argent
« J’ai prévu mon budget pour m’autofinancer sur une année. Mais j’ai du revoir toutes mes dépenses à la baisse, je ne pouvais plus dépenser comme je le faisais lorsque j’étais chef de projet. Il faut être hyper autonome » raconte Rachel Dubour. D’autre part, pour développer son entreprise, il faut se démener pour trouver des financements : l’intrapreneure a réussi sa campagne de crowdfunding, sollicité le dispositif de financement de la BPI et de la ville de Paris, le PIA –Paris Innovation Amorçage– chez Paris&Co et un prêt d’honneur du Réseau entreprendre.
#Adopter un autre rapport à la productivité
« Je viens d’un métier axé sur le produit avec des réalisations matérielles exigentes. En tant qu’intrapreneure, il faut accepter de travailler autrement et d’avoir l’impression d’être moins productif car on n’a pas forcément de retour tout de suite sur ce que l’on entreprend » confie Rachel Dubour. C’est le syndrome de l’entrepreneur qui doit accepter de n’avoir rien de concret et parfait tout de suite et être patient. Flexibilité, agilité et persévérance sont des qualités essentielles pour bien vivre l’expérience et conserver le plaisir d’entreprendre.
#Trouver un sponsor
L’intrapreneure doit trouver une ou plusieurs personnes décisionnaires dans l’organisation qui croit à son projet, des sortes de « business angels » en interne. « Trouver des sponsors forts en interne, les convaincre et les embarquer va faire toute la différence. C’est du temps, et de l’énergie, mais c’est indispensable à la réussite du projet » conseille Chloé Bonnet. Cet appui est d’autant plus important si le projet a vocation à rester dans l’organisation.
L’intrapreneure doit obtenir l’appui de sa hiérarchie et pouvoir compter sur les « forces vives » de l’entreprise. Le dispositif « Ozez Ozer » interne à l’Oréal permet d’être suivi, d’évaluer et de valider à la fois la capacité à être entrepreneur et la pertinence du projet. C’est un point essentiel pour se situer et évoluer dans sa démarche intrapreuneuriale.
#Aller chercher les ressources
« En tant que salariée, j’avais tous les niveaux d’expertise à disposition grâce aux experts métiers ». Une fois lancé, c’est à l’intrapreneure d’aller chercher les ressources autour d’elle et de composer avec un système parfois complexe. « L’intrapreneure a tout intérêt à s’ouvrir sur les autres pour aller chercher les expertises par elle-même, s’entourer de talents et déclencher de nombreux rendez-vous », admet Rachel Dubour.
#Trouver le bon programme d’accompagnement
Entrepreneure à part entière, l’intrapreneure doit pouvoir bénéficier des ressources de l’écosystème des start-ups. « Foncer seule dans son coin est tentant, mais ça peut faire perdre des mois de travail. Il faut mettre sa fierté – et sa peur – de côté et demander de l’aide, parler à l’écosystème » soutient Chloé Bonnet. L’intrapreneure doit solliciter les ressources de l’écosystème entrepreneurial au-delà de l’entreprise et trouver un programme adapté à ses besoins.
« Certaines structures comme Five by Five se sont spécialisées dans l’accompagnement des intrapreneurs car elles comprennent son statut particulier, toujours sur deux fronts : s’ils doivent développer leur projet, ils doivent aussi prendre en compte toute la dimension politique qu’entraîne leur position. L’accompagnement est donc différencié afin de les aider à fédérer leur écosystème interne »
justifie Chloé Bonnet. Rachel Dubour confirme que si elle n’avait pas été accompagnée, elle ne se serait pas forcément lancée dans l’aventure. « Le dispositif Ozez Ozer » » et l’accompagnement par les Premières m’ont permis de réaliser que mon projet était faisable. Sans eux il dormirait probablement encore dans un tiroir. »
#Avoir une vision utilisateur
L’intrapreneure ne doit pas se contenter de poser ses intuitions sur un power point mais aller à l’extérieur à la rencontre de ses futurs acheteurs pour tester son concept et apporter des preuves terrain. L’idée n’est pas de valider son concept ou son produit en interne mais de le tester et le valider sur le marché. « Souvent, les projets sont très recherchés mais les intrapreneures n’ont pas de visibilité sur leurs premiers utilisateurs et acheteurs.
L’identification d’un segment marché est indispensable à tout projet solide » juge Chloé Bonnet. Rachel Dubour a eu l’occasion de tester son concept grâce à un stand à la Foire de Paris sur un panel d’utilisateurs qui n’était pas son cœur de cible. « Les gens ont confirmé la pertinence du concept et ont validé un prix psychologique maximum. »
#Faire bouger son projet
A la différence des grands groupes, il faut adopter une démarche itérative –et non pas planifiée– pour faire évoluer son concept au fil du temps. Soit faire des aller-retours entre le problème que l’intrapreneure cherche à résoudre et la solution qu’elle construit. Chloé Bonnet résume joliment la problématique : « Il faut tomber amoureux du problème et non pas de la solution. »
L’intrapreneure doit savoir se remettre en question et garder la motivation, accepter de ne pas sortir quelque chose d’immédiatement parfait, que tout ne soit pas homologué et testé. Au bout de plusieurs mois, à l’issue de plusieurs rendez-vous et rencontres, Rachel Dubour a fait pivoter son projet après s’être rendue compte que son business model serait plus solide en B to B qu’en B to C. « Il y a toujours de nombreux points à améliorer. Il faut accepter qu’il y ait plusieurs versions, être à l’écoute, s’adapter, pivoter, tout conservant l’essence du projet et ses valeurs intrasèques », relativise Rachel Dubour.
Charlotte de saintignon