La directrice de l’ENA, Nathalie Loiseau: une ambition au féminin

La directrice de l'ENA, Nathalie Loiseau : une ambition au féminin
Elle incarne la réussite au féminin mais ne veut surtout pas jouer les « super women » à la manière d’une Sheryl Sandberg qu’elle juge un peu trop « lisse » et « intimidante ». Nathalie Loiseau, la directrice de l’ENA et auteure de « Choisissez Tout » avait simplement envie de raconter son histoire de femme et faire comme elle le dit joliment « l’éloge de l’imperfection ».

Un bureau niché dans le cœur du 6ème  arrondissement de Paris, en face du parc du Luxembourg, c’est là que Nathalie Loiseau nous reçoit entre deux voyages à Strasbourg, l’autre campus de l’ENA, où elle passe en moyenne 3 jours par semaine. Cette vie de nomade, elle y est habituée depuis toujours de part son métier de diplomate qui l’a menée aux quatre coins du monde et lui a permis entre autres, de goûter à d’autres cultures et manières de penser le féminin.

L’ambition féminine en question ?

A la voir aujourd’hui, on croirait que tout a été facile pour elle : études à Paris au Lycée Carnot, BAC à 16 ans, entrée à Sciences-Po dans la foulée, réussite du concours du Quai d’Orsay à 21 ans (la benjamine de la promotion), pas un faux pas en apparence et cette idée qu’elle avait de l’ambition à revendre dès son plus jeune âge. Elle le dit d’ailleurs elle même : « Je voulais tout ».

Pourtant, la réalité, comme souvent, est trompeuse. Derrière ce parcours de première de la classe, il y a en effet, l’histoire d’une femme qui, bien qu’ayant grandi dans les années 60-70, n’a jamais été poussée par son entourage : « Les attentes, c’est sur mon frère qu’elles convergeaient. » note t-elle au début de son livre. Elle a donc appris à l’ombre de celui-ci et comme elle était douée, même très douée, elle est allée très vite : «  Grâce à lui, j’ai débuté beaucoup plus tôt et ai pu aller beaucoup plus loin. ». Que les femmes puissent avoir de l’ambition n’était pas un sujet dans sa famille mais n’est ce pas le reflet d’une époque révolue ?  « Si j’en suis arrivée à me confier, c’est que précisément, je voyais des jeunes femmes pour lesquelles on n’avait pas les mêmes attentes que les jeunes hommes et cela au XXI ème siècle. » déclare t-elle.

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Le débat récent sur les stéréotypes revient évidemment à l’esprit. Nathalie Loiseau pointe un paradoxe : « Les petites filles sont souvent les meilleures élèves mais cela ne leur rend pas forcément service.» Le système scolaire ne leur prêterait pas la même attention et valorisait chez les filles des qualités comme « la capacité à apprendre sagement » qui risquent de les pénaliser dans leur vie professionnelle plus tard. Le fameux syndrome de la « bonne élève » !

L’une des conséquences de cet état de fait est évidemment le rapport qu’entretiennent les jeunes femmes avec l’ambition. Elle se souvient à cet égard de la phrase d’un de ses anciens patrons et mentor qui, avant qu’elle ne passe le très difficile concours d’Orient lui avait lancé comme un défi : « Ce concours, je vous interdis de le rater. » Une formule « magique » qui marcha pour celle qui en dépit de ses capacités évidentes n’y croyait pas. Mais combien sont-elles à se mettre aussi des freins psychologiques ? Cette phrase galvaudée : « parce que je le vaux bien » ne semble toujours pas faire partie du vocabulaire de la plupart des femmes. Pour celles qui développent cette ambition, l’attitude du père est clé dans l’image que la fille se fait d’elle-même et de son avenir : « le syndrome d’Indira Gandhi », note t-elle.

Pourtant, pour Nathalie Loiseau, ces questions sont moins simples qu’il n’y paraît car « les préjugés sont aussi dans la tête des femmes. » Elle se souvient de son arrivée au Quai d’Orsay et de ces filles de notables nommées sur contrat et par protection qui n’avaient pas passé le concours et qui, voyant arriver une jeune femme de 21 ans n’hésitèrent pas à contester son autorité et à diffuser des rumeurs : « J’avais couché. Il ne pouvait pas y avoir d’autre explication à ma promotion et à la mansuétude dont je faisais l’objet. »

Solidarité féminine où es tu ?

La solidarité féminine, elle ne l’a pas donc pas connue à ses débuts : « Il fallait être très naïve pour se lancer à l’assaut de certains jobs parce que celles qui nous avaient précédées ne faisaient pas envie et n’avaient aucune envie de nous voir arriver. » Une réalité qui semble faire partie du passé avec la multiplication des réseaux féminins. Ils seraient plus de 400 en France aujourd’hui. Son discours sur l’importance de ces réseaux est d’ailleurs clair : « Je pense que les femmes ont intérêt à exercer la même solidarité que celle que les hommes ont exercé entre eux jusqu’à présent. Elles ont une forme de naïveté à croire qu’elles peuvent y arriver toutes seules. »

Le temps de travail : la nouvelle frontière

Pourtant, l’enjeu reste aujourd’hui de repenser la société et notamment notre rapport au travail. Celle qui décrit ses débuts professionnels avec des réunions décidées par des hommes qui commençaient en fin de journée le vendredi, considère que le temps de travail doit revenir au centre du débat : « C’est la nouvelle frontière après les quotas. » note-t-elle. Les jeunes générations ont d’ailleurs commencé à redéfinir ce système : « elles ont de nouvelles attentes et ne sont pas convaincues du système de performance qu’on leur vend. » et d’ajouter « beaucoup d’hommes ne sont pas à l’aise non plus mais subissent car ces habitudes de travail sont sensées avoir été faites pour eux. » Peuvent-ils se rebeller dans ces circonstances ?

Celle qui a voyagé dans le monde entier, connu des systèmes d’organisation multiples, aimerait que l’on parle « efficacité »: « J’ai été frappée tout au long de ma carrière professionnelle de voir que l’on valorisait des parcours professionnels moins pour ce qu’ils avaient produit comme « effet transformant » que pour leur réputation ». Changer de modèle et valoriser les talents des individus, tel est en substance le message de la directrice de l’ENA qui œuvre notamment, au niveau de son école, pour rendre les processus de recrutement plus lisibles : « Nous avons travaillé sur l’objectivation des compétences, en nous posant en permanence la question de savoir de quels talents nous avions besoin. » Un succès qui se mesure à l’aune de la cohorte de femmes qui a atteint 45% l’année dernière, du jamais vu !

Itinéraire d’une nomade

Depuis ses débuts, Nathalie Loiseau n’a donc jamais cessé de se remettre en cause et a fait sienne cette phrase : « Ne jamais prendre aucune situation pour acquise sur la durée. » D’un point de vue personnel, elle a d’ailleurs su concilier sa carrière avec celle de son mari et quatre enfants, une gageure qu’elle explique simplement : « j’ai passé mon temps à demander à mes enfants et à mon mari si l’équilibre convenait encore à tout le monde. On doit un respect particulier aux gens qui vous entourent. »

Dans son parcours professionnel, elle le reconnaît, elle a aussi eu la chance de croiser les chemins d’hommes d’exception, de mentors qui ont su respecter son identité de femme tout en la bousculant parfois pour la pousser plus loin. A l’issue de notre conversation, une question me taraude: n’y a t-il pas une inspiration féminine dans sa vie ? La réponse fuse: « Alexandra David-Néel parce que la vie ne la prédestinait pas à être la première femme à arriver à pied au Tibet. Elle était passionnée par le bouddhisme et ses origines avaient peu d’importance avec l’idée qu’elle avait envie de poursuivre ses rêves. » Une nomade, iconoclaste, un esprit libre… A son image finalement !

@veroniqueforge

Petits conseils à la jeune génération :

1/ Etre extrêmement attentive à son indépendance financière quoi qu’il arrive.

2/ Il n’y a pas une forme d’ambition et de réussite. Il y en a autant que de personnes, le tout c’est d’être capable de la définir soi-même.

3/ Ne jamais renoncer avant d’avoir essayé. Même si quelque chose vous paraît très difficile, même si vous avez peur de prendre des coups.

 

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