Kokoroe : le savoir par tous et pour tous

Kokoroe
En tout juste un an, Béatrice Gherara et ses deux amies d’enfance, les jumelles Elise et Raphaëlle Covilette, ont réussi à imposer un mot japonais dans le vocabulaire des Ed Tech : Kokoroe, qui signifie « savoir ». C’est le nom que ces jeunes trentenaires débordantes d’énergie ont donné à leur plateforme collaborative de cours particuliers, collectifs et en ligne. Retour sur une formidable ascension nourrie de passions.

Comment est né Kokoroe ?

Béatrice Gherara : Kokoroe est le fruit d’une histoire de copines. Raphaëlle, Elise et moi nous connaissons depuis l’enfance. Nous avons fait les quatre cents coups ensemble. Au départ, nous nous sommes lancées dans des vies professionnelles plutôt classiques : Elise en tant qu’avocate, Raphaëlle dans le conseil chez Accenture, et moi en finance pendant sept ans au sein de BNP Paribas. Droit-conseil-finance : la trilogie « old school » ! Mais arrive un moment où vous recherchez du sens. A 30 ans, nous avons tout plaqué. Notre objectif était simple : permettre à un maximum de personnes de vivre de leur passion, exactement comme nous.

Nous avons donc créé la première plateforme de mise en relation entre passionnés, partant du principe que tout le monde a un savoir à partager, à transmettre. Certains passionnés très actifs, qui interviennent dans des domaines qui plaisent beaucoup, peuvent gagner jusqu’à 1000-1200 euros par mois. Nous leur offrons des outils techniques performants, ainsi qu’une belle vitrine : une page Web dédiée où ils peuvent notamment uploader un book de photos, présenter leur cours, développer un agenda de booking avec tous leurs créneaux horaires disponibles, etc.

Comment garantissez-vous la qualité de l’enseignement ?

Béatrice Gherara : Une grand-mère peut être la reine de la tarte aux mirabelles sans que ce soit nécessairement validé par un diplôme. Nous avons souhaité renverser les règles en créant une plateforme fondée non pas sur le poids du diplôme justement, mais sur la certification par la communauté. A la fin de chaque cours, le passionné est évalué sur des critères comme la qualité de son expression, sa pédagogie, sa ponctualité, etc. En amont, nous effectuons un tri parmi les annonces, qui sont toutes soumises à une modératrice chargée de s’assurer de leur qualité et qu’elles rentrent bien dans nos thèmes – la voyance et l’astrologie ayant été exclues d’office, par exemple.

Mini Guide Leader

Nous procédons par ailleurs à une vérification des profils sur les réseaux sociaux et nous demandons aux passionnés de fournir trois recommandations minimum de leur entourage ainsi qu’une photo claire de leur visage. Aujourd’hui, le marché est dominé par une logique de petites annonces, postées sur des sites comme leboncoin. Or, elles souffrent d’un réel déficit de crédibilité en raison du risque d’arnaque. Nous misons sur la réassurance à travers un dispositif de confiance et de sécurité.

Vous permettez ainsi à des milliers de personnes de continuer à se former…

Béatrice Gherara : Selon l’INSEE, aujourd’hui, 70 % des Français souhaitent apprendre au travers de nouvelles expériences. A la différence des écoles américaines qui s’appuient sur un apprentissage plus proactif, nos formations restent assez classiques. En revanche, les Français ont envie d’apprendre une fois qu’ils ont quitté les bancs de l’école et tout au long de leur vie, sans avoir à attendre l’âge de la retraite. Ce qu’ils recherchent, c’est pouvoir prendre des cours à la carte, sans engagement. Nous répondons à ce désir de picorer, de zapper, de céder à l’impulsion.

Vous proposez un éventail très large d’activités…

Béatrice Gherara : C’est un parti pris, qui s’inscrit dans une logique de décloisonnement. Ce n’est pas parce que vous proposez un cours de cracheur de feu que nous ne vous accepterons pas. Kokoroe est une maison de passions. Aujourd’hui, nous offrons plus de 1000 activités différentes. Parmi les domaines qui marchent le mieux, on trouve en premier lieu le « Do it yourself » au sens large, qui couvre aussi bien la photo argentique que la couture ou encore la peinture.

Notre clientèle, essentiellement des 25-45 ans, compte beaucoup de marketeurs et de blogueurs particulièrement intéressés par ces sujets. La cuisine récolte également un beau succès, avec là aussi une palette très large allant de la pâtisserie à la cuisine moléculaire en passant par l’œnologie ou un atelier de cocktails. L’informatique arrive en troisième position – certainement parce que nous sommes bien implantées dans le milieu du Web –, avec sa dimension « pratico-pratique » : comment créer mon blog, comment booster mon SEO, comment poser les bases d’une application iOS…

Comment votre communauté se porte-t-elle aujourd’hui ?

Béatrice Gherara : Depuis septembre, notre croissance mensuelle dépasse les 30 %. Nous dénombrons grosso modo 5000 inscrits et misons beaucoup sur le pouvoir de la communauté. Très tôt, nous avons pu compter sur un noyau dur de membres qui ont eu envie de s’investir au-delà des cours en écrivant, en racontant leurs passions. En parallèle du magazine collaboratif, nous avons institué les « Kokofest », qui ont lieu à peu près tous les trois mois. Nous privatisons des lieux et organisons des « soirées des passions », avec des ateliers de body painting, de gospel, de graffiti… Nous ne croyons pas en une plateforme uniquement virtuelle. Ces moments, chaleureux et fédérateurs, offrent l’occasion de se rencontrer, d’échanger et de mieux comprendre les besoins et les désirs de chacun.

Quelles ont été les grandes étapes de votre développement ? 

Béatrice Gherara : Alors que nous étions encore en poste, nous avons lancé une campagne de crowdfunding sur KissKissBankBank, qui devait nous permettre de tester l’appétence du marché et de commencer à constituer une petite communauté. La Banque Postale nous a alors repérées et élues projet coup de cœur. Cette campagne, qui a dépassé nos attentes, a été le déclic. Nous avons fait notre « coming out » entrepreneurial auprès de nos proches et le projet est devenu concret.

Par la suite, nous nous sommes distinguées à l’occasion du concours « Talents du Numérique », en juin 2014. En septembre, nous avons intégré l’accélérateur de start-up de Microsoft. A l’époque, Elise, Raphaëlle et moi avions des backgrounds très différents. La montée en compétences digitales devait être énorme, avec un horizon de temps extrêmement court ! Microsoft Ventures nous a apporté ce savoir, en plus du bagage méthodologique nécessaire au développement d’une start-up.

Dès le début, nous avons rencontré deux de nos développeurs – devenus nos associés –, qui ont construit les fondements de la plateforme que nous avons inaugurée en mars 2015. Le passage sur M6, dans le reportage de Capital « Le nouveau Google est-il français ? », a constitué un formidable coup de projecteur. A la suite de quoi nous avons levé 250 000 euros auprès d’investisseurs de premier plan comme Xavier Niel, Daniel Marhely, Renaud Guillerm, Cyril Aouizerate et Olivier Gonzalez. Au départ, c’est Julien Codorniou, de Facebook, qui a choisi de nous faire confiance et de mener quelques introductions pour nous permettre d’élargir notre réseau. Nous avons alors commencé à pitcher seules face à des investisseurs, dans des formats super qualitatifs qui nous ont réussi.

Quels sont vos objectifs pour 2016 ?

Béatrice Gherara : La levée de fonds nous a permis de fidéliser notre équipe technique et de la renforcer, avec l’arrivée d’un spécialiste iOS. Nous sommes désormais huit collaborateurs et nous comptons doubler de taille d’ici la fin de l’année. Nous avons pour projet de nous lancer rapidement en Allemagne et au Royaume-Uni, mais aussi de développer une application mobile destinée à contextualiser l’expérience et à favoriser l’impulsion. Imaginons que demain vous alliez vous balader à la FIAC. Grâce à l’application, nous serons en mesure de vous recommander le passionné d’art contemporain qui anime un atelier d’une heure juste à côté. Le pouvoir est énorme : on pousse la culture et le savoir comme on pousserait l’achat d’une place de cinéma.

D’un point de vue personnel, qu’avez-vous appris grâce à cette aventure entrepreneuriale ?

Béatrice Gherara : Monter sa boîte avec des gens qu’on aime, c’est extraordinaire. Il faut pouvoir vivre cette expérience en sachant que vous allez parfois vous disputer et qu’il faudra passer l’éponge parce que le lendemain tout recommence. C’est plus qu’une vie de couple ! C’est bosser ensemble le matin, le midi, le soir, les week-ends et pendant les vacances. Aujourd’hui, je sais que nous sommes encore plus proches qu’avant. Ensuite, en créant votre entreprise, vous découvrez que vous êtes assise sur un volcan en permanence, que vous êtes en coloc avec l’incertitude, et que du jour au lendemain, tout peut s’effondrer comme tout peut s’envoler. Il faut s’habituer à cet état psychologique et l’accepter.

Quels conseils nous donneriez-vous pour ne jamais cesser d’apprendre ?

Béatrice Gherara : Pour moi, la première chose à faire est de briser la routine. Il n’y a rien de pire qu’être piégée dans le cycle infernal métro-boulot-dodo. Vous êtes alors captive, esclave de votre rythme, et vous ne vous accordez aucun moment pour vous. Je pense qu’il est primordial dans la vie de ne pas s’oublier, de ne pas donner tout son temps à son employeur ou à son entourage. Au moins une fois par semaine, chacune devrait se débloquer du temps de qualité pour travailler l’écriture, la couture ou n’importe quoi d’autre. Etre un peu égoïste finalement !

@manondampierre

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