Anne-Laure Constanza : « Si j’avais écouté les autres, je n’en serais pas là »

Anne-Laure Constanza 

Anne-Laure Constanza est la fondatrice d’Envie de Fraise, marque leader en Europe sur le marché du vêtement de grossesse. Elle partage ici son expérience et analyse avec nous les clefs de son succès. Une histoire de passion et d’intuition pour celle qui a décidé dès 2008 de rapatrier sa production en France et de ne distribuer que sur internet !

Petite-fille, vous nourrissiez une passion très particulière. Laquelle ?

Anne-Laure Constanza : J’ai grandi en région parisienne. Je ne suis pas issue d’un milieu entrepreneur. J’étais une petite-fille très rêveuse et assez sportive. Ma famille avait de nombreux objets qui venaient d’Asie, et dès mon plus jeune âge, je me suis créé un monde autour de cette culture mystérieuse et notamment de la Chine et sa langue inaccessible.

Avez-vous fini par rejoindre ce pays qui vous attirait tant ?

Anne Laure constanzaAnne-Laure Constanza : Oui. J’avais un deal avec mes parents : si j’avais mon bac S avec mention, ils m’offriraient un billet aller-retour pour Pékin. Alors j’ai tout donné et suis partie deux mois avec une amie en sac-à-dos. Ma rencontre avec la Chine a été un gros choc : le pays ne correspondait pas du tout à ce que j’avais en tête. Je devais alors intégrer la fac de médecine, mais j’ai expliqué à mes parents qu’il me fallait retourner en Chine pour comprendre pourquoi je n’avais pas aimé.

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J’étais certaine que ce pays regorgeait de trésors culturels, et je ne voulais pas rester sur cette déception. Mes parents m’ont fait confiance et m’ont laissé repartir. J’ai alors vécu jusqu’à mes 28 ans en Chine, d’abord en tant qu’étudiante pour apprendre le chinois.

Quel a été votre premier job en Chine ?

Anne-Laure Constanza : J’avais dans l’idée de promouvoir le savoir-faire français en Chine, alors j’ai postulé pour les plus grandes maisons de haute-couture françaises, en leur expliquant qu’elles devaient s’implanter en Chine. J’ai finalement été embauchée par Jean-Louis Scherrer qui m’a confié la coordination de l’activité en Chine. C’était une opportunité incroyable car je n’avais que 23 ans. Après d’autres expériences, j’ai fini par monter ma première boîte à 27 ans, Chine Attitude.

Cette fois-ci, je voulais promouvoir le savoir-faire chinois en Europe, montrer qu’il y avait d’incroyables stylistes, peintres, designers… Mais l’aventure n’a duré qu’un an et demi. Les Français n’étaient sans doute pas encore prêts à ce discours sur la Chine. J’étais assez déçue, puis j’ai rencontré mon mari qui était en France. Cela a été difficile pour moi de revenir car la Chine avait un côté très excitant, il y avait tant d’émulation. Si j’arrêtais ma première boîte, il fallait donc que je trouve quelque chose qui me passionne.

C’est à ce moment là que vous créez Envie de Fraise ?

Anne-Laure Constanza : En 2004, je suis tombée enceinte, et c’est alors que j’ai découvert la pauvreté de l’offre en matière de vêtements de grossesse. Je me suis dit qu’en créant une marque, je pourrais exploiter mes compétences et faire une chose qui me plaisait vraiment. J’ai tout de suite pensé qu’il fallait que je vende sur internet. Les gens m’ont alors clairement dit que c’était une erreur, mais je ne les ai pas écoutés. Si je devais donner un conseil aux autres entrepreneurs, et bien ce serait justement de ne pas trop écouter les conseils des autres, mais de se fier avant tout à son instinct, à ses convictions profondes, et d’aller jusqu’au bout de ce que l’on ressent.

En 2006, vous avez donc lancé Envie de Fraise. Avec quels moyens ?

Anne-Laure Constanza : J’avais réussi à récolter 30 000 auprès de mes proches, et avec ça je me suis développée pendant 2 ans. Les banquiers ne croyaient pas du tout au projet, il fallait donc que je prouve que mon concept fonctionnait. En 2008, j’ai réalisé une première levée de fonds avec des Business Angels. Je me suis tournée vers des gens qui avaient eux-aussi créé des modèles disruptifs sur Internet, notamment les fondateurs de Seloger.com. C’est en 2011 que j’ai réalisé ma première levée de fonds traditionnelle.

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Vous êtes très engagée dans le Made In France, après avoir commencé par produire en Chine. Croyez-vous en un phénomène massif de relocalisation ?

Anne-Laure Constanza : J’ai effectivement démarré avec un atelier de confection à Pékin, puis j’ai délocalisé la production vers la France dès 2008. Aujourd’hui, 90% de notre production est française, sauf pour les jeans qui sont confectionnés en Italie, et les maillots en Tunisie.

Nous avons des ateliers de prototypage en interne, des couturières… ce que la majeure partie des maisons de Prêt-à-porter n’ont plus. Je voulais vraiment mixer le savoir-faire traditionnel avec la technologie de distribution sur internet. Du prototypage au shooting photo, nous maîtrisons toute la chaîne. Nous comptons 17 jours entre le moment où le produit est conçu, et celui où il est en ligne.

Concernant le phénomène de relocalisation, je ne devrais pas le dire mais je crois que le digital nous permet de créer de nouveaux modèles. Nous faisons de la mode différemment, nous achetons par exemple nos propres matières. Si nous allons au bout du process de disruption, nous devons repenser la production. Aussi, nous ne pourrions pas proposer les mêmes prix si nous ne vendions pas sur internet. Et puis, nous allouons un budget plus faible au branding, au packaging. Chez nous, tout est très minimaliste.

Vous avez commencé votre internationalisation il y a 2 ans, quel premier bilan en tirez-vous ?

Anne-Laure Constanza : Nous avons été assez lents à la démarrer car nous voulions être suffisamment bons avant de nous lancer. La mode de la femme enceinte est un marché de niche, et nous ne pouvons pas fidéliser nos clientes. Pour l’instant, nous sommes leaders en Europe, mais notre ambition est clairement mondiale.

En 2012, vous aviez lancé Scarlett, une ligne de vêtements pour femmes rondes. Pourquoi avoir décidé de stopper cette aventure ?

Anne-Laure Constanza : Le marché de la grande taille est bipolarisé, avec d’un côté des vêtements peu alléchants et de l’autre des marques très onéreuses. Notre savoir-faire nous permettait de créer facilement des passerelles, comme l’élasticité des matières. Il fallait tester pour voir si cela fonctionnait. Or, les taux de retour sont très élevés sur ce marché (50%), et pour nous imposer, il aurait fallu lever beaucoup d’argent et accepter d’en perdre pendant plusieurs années. Envie de Fraise est rentable et je n’avais pas envie de perdre cela.

Quand je fais des erreurs, je les corrige vite, alors en mars 2014 j’ai décidé de stopper tous les investissements pour me recentrer sur la femme enceinte. Je me suis dit que nous devions avoir la meilleure offre au monde. En 2014 puis en 2015 nous avons enregistré + de 50% de croissance.

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Aimez-vous être perçue comme un rôle modèle pour les autres femmes ?

Anne-Laure Constanza : C’est sympathique mais j’ai vraiment autour de moi des femmes qui devraient être perçues comme telles et dont on n’entend pas forcément parler. Par exemple, une infirmière dans une prison, ça c’est « waou ». En revanche, cela me fait plaisir lorsque je participe à des conférences et que l’on vient me voir pour me dire que je donne envie d’oser !

Il y a peu, vous avez été choisie pour représenter les entrepreneurs face à François Hollande dans Des paroles et des actes. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience, et quels sont vos souhaits pour l’entrepreneuriat français ?

Anne-Laure Constanza : En 2011, j’avais déjà pu poser des questions à Nicolas Sarkozy, et le refaire était une expérience assez incroyable.  C’était stressant mais j’aime les challenges. Quant à l’entrepreneuriat français, je suis heureuse de constater qu’il est de plus en plus valorisé chez les jeunes, alors qu’il y a 10 ans, 75% désiraient devenir fonctionnaires ! Les médias ont fait un gros travail, et on voit émerger de plus en plus d’acteurs comme les incubateurs.

La France a tout pour réussir, maintenant la difficulté est de passer de la start-up à la grosse boîte qui rachète les autres… et ne se fait pas racheter. Aussi, j’ai toujours été choquée lorsque l’on parle des patrons et des salariés comme de deux mondes qui s’opposent. Je ne me suis jamais vue comme un patron, mais comme quelqu’un qui crée des emplois. C’est un clivage qui me dérange, mais je crois que les choses évoluent dans le bon sens. En tout cas, j’ai envie d’y croire.

@Paojdo

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