S’il est des secteurs professionnels où les femmes sont peu représentées, l’industrie en est un bel exemple. Depuis une dizaine d’années, malgré les nombreuses actions menées, leur effectif stagne autour de 30 %. Pourtant, plus que jamais, le secteur a besoin d’elles.
Le 23 mai dernier dans un communiqué de presse, Roland Lescure, ministre délégué en charge de l’industrie, et Frédérique Le Grèves, présidente STMicroelectronics France, annonçaient relancer le collectif IndustriElles. Objectif affiché ? Féminiser l’industrie pour garantir la compétitivité et la croissance françaises. L’industrie en France, c’est près de 260 000 entreprises et un chiffre d’affaires de 1095 milliards d’euros.
D’après l’enquête Emploi de l’INSEE en 2022 : Plus de 3,5 millions de personnes y occupent un emploi salarié, mais seulement 31% d’entre elles sont des femmes. La marge de progression est énorme. « On a 27 % de femmes dans les métiers du numérique et seulement 15 % dans les métiers de la tech ce qui est très faible. C’est ça le gros problème. Ça évolue très lentement malgré les avancées législatives et le travail des multiples acteurs », reconnaît Sylvie Leyre, présidente du Conseil pour la mixité et l’égalité professionnelle dans l’industrie, ex DRH de Schneider France, et auteure du rapport ayant donné naissance à l’index de mesure des écarts salariaux entre les femmes et les hommes pour la loi EgaPro.
Place des femmes dans l’industrie : une évolution très lente
Plusieurs raisons à cette lenteur. Comme beaucoup d’autres secteurs, l’industrie est confrontée à des difficultés de recrutement suite au départ à la retraite des Baby boomers. L’industrie pâtit aussi d’une image négative et de stéréotypes à la dent dure malgré les campagnes de communication menées par l’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie (UIMM) et les actions de promotion des métiers sur le terrain auprès des plus jeunes. Cependant, Sylvie Leyre y voit l’occasion d’un tournant.
« Cette pénurie sur le marché de l’emploi est une opportunité pour se poser les bonnes questions et se mobiliser pour augmenter le rôle des femmes. La nécessité d’aller recruter au-delà du vivier des 50 % de la population d’hommes ne s’était pas fait sentir à ce point jusqu’à maintenant. Sans les femmes, clairement on n’aura pas assez de recrues. Aujourd’hui, il est en train de se passer quelque chose et le monde de l’industrie bouge », affirme la présidente du Conseil pour la mixité et l’égalité professionnelle dans l’industrie.
Orientation des filles vers l’industrie : Des freins à combattre
Pour remplir cet objectif, reste à lutter contre plusieurs freins. Notamment les projections parentales, les doutes de l’entourage, les représentations véhiculées par la société… Malgré les interventions des ambassadrices dans les écoles, les questions subsistent : « Est-ce vraiment un secteur pour une jeune fille ? ». Les professeurs eux-mêmes connaissent très peu le monde de l’industrie et ne pensent pas y orienter les jeunes. « Là aussi, c’est souvent par méconnaissance, pas par malveillance. Il y a des actions menées pour relier le monde de l’école et celui de l’industrie mais c’est un long chemin », précise Sylvie Leyre.
Et même lorsqu’elles intègrent une entreprise industrielle, les femmes sont davantage présentes dans certains sous-secteurs traditionnellement plus marqués comme féminins et en lien avec la mode, le soin et l’alimentation. Elles représentent ainsi 64 % des effectifs dans le textile et l’habillement, 47 % des effectifs dans l’industrie pharmaceutique (47,8%), et 43 % dans la fabrication de denrées alimentaires, boissons et de produits à base de tabac. « On n’est pas dans la vraie tech au sens de la mécanique, l’électronique... Ce n’est pas gênant car on est tous différents mais l’essentiel est que chacun puisse choisir. Or beaucoup de jeunes filles ne se pensent pas libres de ce choix », poursuit Sylvie Leyre.
Evolution de carrière et écarts de salaires
Dans les entreprises industrielles elles-mêmes, comme dans bien d’autres secteurs, managers et RH ont encore du mal à promouvoir les femmes à des postes à responsabilités. Ainsi, sur les 724 milliers de cadres de l’industrie, seulement 29 % sont des femmes. « Même quand on a une grande conscience des choses, c’est difficile d’évoluer parce que ces stéréotypes sont profondément ancrés. Les femmes elles-mêmes ont énormément de biais et se limitent dans leurs ambitions », remarque Sylvie Leyre.
Côté salaire, d’après les données de l’Urssaf, les écarts de rémunération mensuelle moyenne en équivalent temps plein dans le secteur privé vont jusqu’à -23,9 % pour le secteur de la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques. Pour les auto-entrepreneurs de l’industrie, là aussi les écarts se font sentir. Au cours de l’année 2021, les hommes ont déclaré un revenu moyen de 6 272€ contre 2 539€ pour les femmes soit un écart de 59,5 %. L’industrie est le secteur dans lequel les différences de revenus moyens sont les plus importants. « Il faut que les femmes demandent le même salaire. Et je suis très heureuse de voir qu’aujourd’hui les jeunes parlent davantage de leur rémunération entre eux et jouent la transparence. C’est un vecteur d’égalité et d’évolution énorme », ajoute Sylvie Leyre.
Industrie : Des actions pour attirer les femmes
De nombreuses actions sont menées pour faire bouger les lignes. Au niveau législatif notamment avec la loi Copé-Zimmerman en 2011 qui visait une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance des entreprises moyennes ou grandes. « La notion de chiffres est importante pour accéder à cette égalité. L’index égalité (dont Sylvie Leyre est à l’origine, Ndlr) en est aussi la preuve. Ce qui est intéressant c’est que chacun peut voir la note de son entreprise sur cet aspect de la rémunération », rappelle Sylvie Leyre.
En 2019, c’est le Conseil de la mixité et de l’égalité professionnelle dans l’industrie qui a été créé pour mener des actions concrètes pour attirer les femmes dans l’industrie. Autre loi importante pour l’égalité économique et professionnelle, la loi Rixain, promulguée le 24 décembre 2021. Celle-ci renforce la proportion de femmes parmi les cadres dirigeants et membres des instances dirigeantes (avec un quota de 40% dans les entreprises de plus de 1000 salariés à l’horizon 2029) et prévoit des sanctions financières en cas de non- respect de ces quotas. Cette loi contraint aussi à davantage communiquer autour de l’index égalité femmes-hommes, ou bien encore à verser le salaire sur le compte personnel du salarié…
« Beaucoup de choses sont faites par la Première Ministre, Élisabeth Borne, qui souhaite que toutes les chances soient données aux petites filles. Elle a notamment lancé un plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes en mars. Dans le secteur industriel, ça a donné lieu à une charte pour une représentation mixte dans les jouets, un guide des bonnes pratiques innovantes en matière d’égalité femmes-hommes… », souligne Sylvie Leyre.
Toujours dans cet objectif, Roland Lescure a relancé le collectif IndustriElles, imaginé par Agnès Pannier-Runnacher (ex ministre chargée de l’industrie, Ndlr) pour lutter contre les stéréotypes et féminiser l’industrie. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues pour rejoindre le collectif, partager leurs bonnes pratiques sur LinkedIn, mentorer des jeunes filles, intervenir en milieu scolaire…
En juin, la Première ministre a lancé le programme « Tech pour toutes ». Ce dernier doit accompagner, d’ici 2026, près de 10 000 jeunes femmes souhaitant entamer ou poursuivre des études supérieures dans le numérique. « Il y a un signal d’alarme à lancer car si les femmes ne sont pas présentes dans les métiers du numérique pour faire les algorithmes, on va perpétuer les stéréotypes », prévient Sylvie Leyre.
Les actions menées en faveur de la parentalité, comme l’allongement du congé paternité et d’accueil de l’enfant porté à 28 jours, font également partie de ces mesures qui peuvent favoriser l’insertion des femmes sur le marché du travail . Et notamment dans l’industrie. Les entreprises sont aussi sur le pont avec des actions de communication, des campagnes de formation… Tout comme les associations (Femmes ingénieures, Elles bougent, Capital filles etc.) qui œuvrent dans ce sens.
Un milieu épanouissant
Avoir plus de femmes dans l’industrie, c’est aussi apporter un nouveau regard au secteur, une diversité synonyme de richesse. Et les femmes peuvent également y trouver leur compte. « Les femmes ont les mêmes capacités que les hommes et surtout elles peuvent être heureuses dans l’industrie, s’y accomplir et être reconnues. J’ai quarante ans de métier dans l’industrie et ça a été une vraie passion. J’ai appris énormément de choses. Les technologies évoluent sans arrêt, dès qu’on a un peu de curiosité, c’est une richesse infinie. C’est vrai qu’il faut oser parler, demander, se faire entendre dans une équipe… Mais aujourd’hui les esprits sont plus ouverts et l’industrie a besoin des femmes », confie Sylvie Leyre. Pour avoir le choix dans son orientation et découvrir les métiers de l’industrie, rendez-vous pour la 12ème édition de la Semaine de l’Industrie qui aura lieu du 27 novembre au 3 décembre un peu partout en France.
Dorothée Blancheton