Women in the City: Ces femmes qui ont réussi dans un monde d’hommes

Women success : Ces femmes qui ont réussi dans un monde d'hommes

Depuis la crise financière de 2007, les banques sont l’objet de tous les fantasmes. Elles incarnent dans l’imaginaire collectif la part sombre du capitalisme et un univers peuplé d’hommes jeunes, ambitieux, sans foi ni loi, prêts à tout pour gagner le maximum. Deux images apparaissent spontanément, celle de Fabrice Tourré, l’ancien trader de Goldman Sachs qui défraya la chronique financière en 2010 aux Etats Unis et plus près de nous, Jérôme Kerviel, toujours en procès avec la Société Générale depuis 2008. Aucune femme dans ce tableau et pour cause, elles ne sont en moyenne que 10% aux postes de directeur et de Managing director  alors qu’elles représentent encore 35% des effectifs au niveau Vice Président et 50% au niveau analyste. Pourquoi donc cette chute brutale des effectifs à mesure que l’on s’approche du sommet ?

Dans cette enquête qui m’a amené à rencontrer des femmes de la City de Londres, j’ai été surprise de leur réticence à parler ouvertement de ces questions. Peur de se singulariser  dans ce monde bancaire qui reste essentiellement masculin ? Volonté de ne pas se poser en « victimes » d’un système ? Sans doute mais pas seulement. La crise a aussi engendré une sorte de « paranoïa collective ». Beaucoup de femmes ont perdu leur poste à ce moment là. Les employeurs sont donc très frileux à l’idée de laisser s’exprimer leurs salariées sur des sujets qu’ils savent polémiques et qui ne font que diaboliser encore plus leur industrie.

Un monde bancaire encore très misogyne

Parmi les banques rencontrées : Barclays, l’un des fleurons bancaire britannique, niché dans le cœur névralgique de la Finance Internationale, Canary Wharf : Une ville dans la ville, étendue sur quarante hectares et située dans le quartier des docklands sur « L’isle of Dogs » où l’on n’entre qu’après être passé par un poste de sécurité. C’est là, que je rencontre Aurelia Lamorre-Cargill, une jeune femme française, diplômée d’HEC qui à 36 ans est déjà « Managing director » au sein de la banque. Un parcours éclair pour cette jeune femme qui a fait ses classes dans la banque d’affaire JP Morgan à Paris avant de passer par Deutsche Bank puis Barclays.

Mini Guide Leader

Jusqu’en 2008, elle changeait de poste tous les six mois, ce qui a pu agacer : « Le fait d’être plus jeune que mes pairs ne joue pas toujours en ma faveur. Les gens se disent, elle pourra toujours faire cela plus tard ou elle est jeune, elle est allée trop vite. » Un argument qui ne semble pas être d’actualité pour les jeunes hommes performants qui eux sont considérés comme des « Rising Stars » s’ils progressent vite, me dit-elle.

Dans ces banques qui restent très majoritairement masculines, les femmes à des postes de direction sont très minoritaires, « entre 4 et 5% » selon elle mais les chiffres ne sont pas diffusés en interne concède t-elle…Pourquoi un tel « black-out » ?  La peur d’afficher trop crûment cette réalité ? Commune d’ailleurs  à beaucoup de banques. Au départ, elles forment en effet, 50% des effectifs notamment dans les banques d’affaires comme Goldman Sachs ou JP Morgan. Comment expliquer cette quasi-disparition ?

Misogynie, machisme ?  Clara Furse, Présidente internationale de la banque japonaise Nomura acquiesce : « C’est un monde macho, oui de fait, car si vous regardez les gens qui ont dans les 40 ans, la grande majorité sont des hommes ». Une réalité qui commence parfois dès l’école: « La première fois de ma vie que j’ai ressenti de la misogynie, c’était à HEC pas avant. Quand nous avions des cas de Finance à faire, les garçons préféraient ne pas se mettre avec les filles alors que pour le marketing au contraire c’était super !» note Aurélia Lamorre-Cargill. Des présupposés qui commencent très tôt et demeurent parfois insidieux tout au long de leur carrière.

Pourtant, pour certaines comme Clara Furse, qui est à ce jour, la seule femme à avoir dirigé le London Stock Exchange (2001-2008): « être une femme peut être un véritable atout, vous sortez du lot sans avoir à faire aucun effort et si en plus, vous faîtes un bon boulot, c’est un énorme avantage. » Selon elle, « La City est un environnement extrêmement méritocratique car très international et très compétitif. ». A l’écouter, les femmes feraient jeu égal avec les hommes. La réalité semble pourtant plus complexe.

Le principe méritocratique mis à mal

Pourquoi n’y a t’il pas plus de femmes à des postes de décision si les seuls critères de sélection sont la performance ? Les femmes représentent aujourd’hui près de 60% des diplômées du supérieur et forment en moyenne 50% des juniors dans les banques.

Pour Clara Furse, la principale explication réside dans la nature du métier lui même : « au fur et à mesure de ma progression, les femmes étaient moins nombreuses mais c’est parce qu’elles choisissaient aussi de faire autre chose car c’est un métier très prenant, vous travaillez entre 10 et 12 heures par jour et quand vous devenez directrice générale comme moi entre 12 et 14 heures. »

La présence sur  le lieu de travail, ce qu’elles appellent le « face time » est un thème qui revient très souvent car c’est aussi sur cela qu’elles sont jugées et sanctionnées. Isabell Moessler, co-présidente des ventes européennes dans une société de Trading ETF Securities, note que ce devoir de disponibilité constante favorise forcément les hommes : « vous devez toujours être disponible et quand vous avez une vie de famille, ce n’est pas forcément évident. Or, on vous juge aussi sur votre présence au bureau, je pourrais faire le même travail à la maison mais je ne recueillerais jamais le même crédit ».

Elle en a d’ailleurs fait les frais et se souvient avoir travaillé sur un dossier pendant trois semaines et ne pas avoir été récompensée parce qu’elle n’avait pas passé assez de temps à promouvoir son travail. Les entreprises jugent aussi leurs employés à leur capacité à être « assertive », à s’affirmer. Isabell Moesller n’a donc pas eu la promotion espérée et a fini par changer d’entreprise pour continuer sa progression de carrière.

Il existe cependant une ligne ténue entre « l’affirmation de soi » et « l’agressivité », « les femmes ont souvent peur d’apparaître agressives » note Aurelia Lamorre-Cargill. Dans le même temps, il y a une forme de paradoxe car elles doivent prouver plus  en tant que femme : « il faut être plus pertinente quand on fait des commentaires et être sur que les gens savent qui vous êtes et quel rôle vous avez avant d’arriver dans le meeting. » Et de citer cet exemple : « je me souviens être arrivée une fois en réunion où une personne qui ne savait pas qui j’étais, me parlade façon très désagréable pendant toute la réunion. »

La Finance reste un monde « violent » où les femmes en dépit de leurs compétences doivent gagner leur place pas à pas. Un constat qui met à mal, le principe méritocratique…

Des critères de notation qui défavorisent les femmes

C’est sur les questions de notation qu’apparaissent encore plus les perversités du système comme le note Marc Roche correspondant financier du quotidien Le Monde et auteur de La Banque. Pour lui, les femmes perdent du terrain dans les banques d’affaires comme Goldman Sachs du fait du mode de notation : «  Comme c’est à 360 degrés et que c’est fait par les supérieurs qui sont en majorité des hommes, que les collègues sont souvent des hommes et que les subalternes type secrétaires ont souvent des ressentiments envers les femmes cadres, elles sont perdantes dans tous les cas ».

Elles participent aussi moins aux activités sociales extra-professionnelles très fédératrices, du fait d’un manque de temps (famille etc..) ce qui peut les pénaliser aussi pour leur avancement. Enfin, elles sont aussi moins souvent présentes dans les activités lucratives comme le Trading, la Fusion-Acquisition, le Capital Investissement, les Hedges Fund où les Bonus sont les plus élevés, « or ce qui compte dans les banques que cela soit Goldman ou une autre, c’est le Bonus. C’est un des moyens de vous juger par rapport à votre progression et à vos pairs. » Comme les femmes sont moins dans les secteurs qui produisent du profit, elles ont moins de Bonus et sont donc moins reconnues.

Les « sponsors », moteurs de l’ascension des femmes

Comment expliquer alors l’ascension de certaines au delà de leurs talents personnels ? En parlant avec ces dernières, il s’avère qu’elles ont très souvent bénéficié de «sponsors » ce que confirme le parcours d’Aurelia Lamorre-Cargill. Elle a certes eu une carrière presque sans embûches mais reconnaît sa chance d’avoir rencontré son « mentor », le supérieur hiérarchique de ses débuts chez JP Morgan qu’elle a suivi partout: « si je n’avais pas travaillé avec lui je ne serais pas là où j’en suis maintenant.

Pour lui ce qui comptait c’était la compétence, le travail. » Avoir un mentor ou un sponsor aide incontestablement une carrière, particulièrement pour les femmes qui sont alors dans une relation de confiance, un atout incontestable dans un monde financier qui reste très dur et agressif. Clara Furse a elle aussi eu une série de très bon « Bosses»  à ses débuts chez Phillips and Drew puis chez UBS, ils l’ont promu à plusieurs reprises « ils étaient contents de le faire et en plus je donnais satisfaction dans le nouveau job, j’ai fini par diriger la division. »

L’impossible équilibre de vie

Mais ces ascensions professionnelles ont un prix que toutes ne sont pas prêtes à payer. Clara Furse a fait le choix de mettre ses enfants en « Boarding school », les fameuses pensions anglaises afin de se consacrer à son travail. Quant à Aurelia Lamorre-Cargill qui travaille en moyenne  12 heures par jour, elle a une « nanny » à plein temps pour ses deux enfants en bas âge et un mari aidant. Il reste peu de temps pour le superflu mais pour Isabell Moessler, enceinte de six mois, il faut se fixer des priorités : « cela passera par moins de temps avec ma famille car on ne peut pas tout avoir, c’est une utopie. ».

Une utopie peut-être mais la crise financière n’est-elle pas en train de redéfinir les contours de cette industrie et donc la place des femmes au sein de ces entreprises ?

L’après crise financière ou le nouveau paradigme pour les femmes ?

Les traders, sorte de cow-boys des temps modernes bourrés de « testostérone » ont durablement mis à mal l’image de l’industrie bancaire. La publication de livres comme celui de Greg Smith, Pourquoi j’ai quitté Goldman Sachs décrivant les traders comme de véritables prédateurs sans foi ni loi ne passe plus auprès du grand public ni ces conseils d’administration sans aucune femme. Comme le note ironiquement Marc Roche, aujourd’hui ils iraient même jusqu’à « louer une femme » pour ne pas apparaître comme un « club d’hommes ».

Les banques subissent aussi une pression forte de la part de leurs actionnaires qui demandent désormais plus d’éthique, plus de diversité et donc plus de femmes. Au niveau européen également, des voix comme celle de la commissaire européenne, Viviane Reding, s’élèvent pour dénoncer ce statu quo en la matière. Elle souhaite imposer des quotas de 40% de femmes dans les conseils d’administration. Une idée qui fait son chemin en dépit de la réticence des britanniques et de la probable absence de sanction contre les entreprises qui n’appliqueraient pas cette directive.

Les banques  face à leurs responsabilités

Les entreprises ont soudain pris la mesure des enjeux après la crise qui a particulièrement touchée les femmes. Beaucoup ont perdu leur emploi, d’autres ont simplement saisi l’occasion pour quitter le navire et retrouver un équilibre de vie. Or, pour les banques c’est un coup dur, comment prétendre attirer les meilleurs quand on n’offre pas l’image d’une entreprise ouverte, en phase avec son époque ?

La génération des 20-30 ans qui a vécu ou fait ses études à l’étranger ne se reconnaît plus dans ces schémas obsolètes. Un professeur de Wharton notait d’ailleurs récemment dans une conférence réunissant des anciens élèves du MBA qu’il y avait désormais plus de jeunes diplômés qui souhaitaient faire leur stage chez Google que chez Goldman Sachs. Signe des temps qui amène les banques à repenser leur manière de gérer leurs salariées femmes en leur proposant notamment des programmes visant à les aider à progresser dans leur carrière et à atteindre le « Top ».

Merrill Lynch a ainsi mis en en place le « Women Leadership Programme » qui propose, outre des conférences avec des femmes très « seniors » et un système de « mentoring » pour les talents féminins de la banque. Chaque femme voit son mentor une fois par mois une aide qui se révèle indispensable pour leur évolution de carrière. Barclays a aussi son réseau : WIN qui vise à soutenir les femmes en interne et en externe, à en recruter plus. Pourtant, Aurelia Lamorre-Cargill elle même membre de WIN, reconnaît que les mentalités sont lentes à évoluer,  « le top management a conscience de cela mais notre comité exécutif a encore besoin de comprendre quel est le « business case » derrière.

Pour eux, il faut leur dire : si vous avez plus de femmes, vous allez pouvoir augmenter vos revenus de tant de % et baisser vos risques de tant de %. D’arriver à quantifier en fait cet impact du changement structurel. » Des propos qui montrent à eux seuls, le chemin qui reste à parcourir…Un point positif : Le passage d’un modèle de banque fondé sur le risque à celui orienté vers des activités moins risquées devrait amener les femmes à s’imposer plus naturellement selon certaines. 

Les banques ont pourtant compris que pour garder leurs salariées femmes, il fallait leur offrir un cadre plus propice à leur épanouissement. La banque japonaise Nomura va d’ailleurs très loin dans ce domaine en proposant notamment des cours de Yoga pour les femmes enceintes, des coaching « maternité » mais aussi des coaching individuels pour les femmes au niveau « Managing director » afin de les aider à trouver leur nouvel équilibre.

Les femmes entre esprit de résilience…

Au delà de ces évolutions notables, ce qui frappe néanmoins chez toutes ces femmes, c’est une forme de résilience. A titre d’exemple,  aucune ne se considère comme féministe même si elles souhaitent toutes que les choses changent. Isabell Moessler se sent une responsabilité envers les jeunes générations à venir quant à Aurelia Lamorre-Cargill, elle se dit féministe uniquement en pensant à sa fille de 2 ans et demi « je veux que cela change pour elle. » Melissa S. Fisher, auteur de « Wall Street Women », évoque d’ailleurs ce phénomène quand elle parle de ces financières américaines qui se considéraient comme des femmes faisant partie d’une élite financière mais pas comme des féministes afin de ne pas être stigmatisées. 

Cette volonté de ne pas se singulariser constitue sans doute la force et la faiblesse de ces femmes qui réussissent. La force car dans un monde qui reste largement masculin, mieux vaut ne pas exposer sa différence mais la faiblesse parce que c’est l’affirmation  de ces différences qui justement permettra à cet univers d’évoluer.

Les réseaux féminins : premier pas vers le changement ?

Cette forme de résilience ne les empêche pourtant pas d’avoir besoin parfois d’échanger avec d’autres. Elles sont nombreuses  à faire partie de réseaux féminins comme 85 Broads crée au départ par des femmes de Goldman Sachs mais qui n’est plus spécifiquement lié à la banque d’affaire. Pour Grace Maa, co-présidente de 85 Broads, l’objectif de ce réseau est vraiment l’ « Empowerment » des femmes, un terme anglais qui signifie littéralement donner du pouvoir aux femmes. Au delà, il sert évidemment de soutien et leur permet d’échanger dans un cadre neutre sur les sujets qui leur tiennent à cœur aux différentes phases de leur vie comme : Comment rentrer dans un conseil d’administration, fonder son entreprise ou encore faire les bons choix pour l’éducation des enfants.

C’est le réseau féminin professionnel le plus important avec plus de 1800 membres en Grande Bretagne et près de 30 000 dans le monde. Mais un réseau comme celui ci peut-il devenir un moteur du changement ?  Si c’est l’un des objectifs affichés, dans les faits la solidarité féminine n’est pas toujours de mise. Les femmes viennent pour répondre à leurs besoins spécifiques et si l’entraide existe parfois, elle est loin d’être la norme. Pour Aurelia Lamorre-Cargill, les femmes sont difficiles entre elles. « Comme nous ne sommes pas beaucoup quand nous nous voyons, nous nous disons parfois : elle va me piquer ma place

. C’est beaucoup plus facile d’être « one of the boys » que d’être dans un réseau féminin ». Melissa S Fisher remarque d’ailleurs que ce sont souvent les femmes en fin de carrière qui commencent à vouloir aider les autres femmes. Elle prend l’exemple de Laura Sharp, une ancienne d’une banque d’investissement qui lui déclara un jour que son rêve était maintenant « d’aider les femmes à réussir dans un monde d’hommes. »

Mais c’est justement ce monde d’hommes qu’il convient de changer. Les dispositifs et autres programmes de « leadership féminin » sont certes essentiels pour aider les femmes dans leur ascension mais ils n’auront que de modestes effets s’il n’y a pas, au sein de l’entreprise et de son comité exécutif une vraie volonté de  voir plus de femmes arriver à des postes de direction. Comme le note l’étude Women Matters, beaucoup de sociétés investissent aujourd’hui dans les programmes de diversité mais les résultats se font encore attendre, particulièrement dans les services financiers.

En outre, s’il y a de plus en plus de femmes dans les conseils d’administration, les comités exécutifs, là où se prennent les décisions stratégiques de l’entreprise, restent encore très majoritairement masculins. Plus de femmes dans les comités exécutifs, c’est sans doute aussi le nouvel objectif à atteindre pour ces banquières de talents.

Il reste donc du chemin à parcourir pour arriver à une égalité des chances entre hommes et femmes et ainsi répondre à The Atlantic qui titrait  « Why women still can’t have it all ? » : Yes they can !

 Véronique Forge-Karibian

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