Dunya Bouhacene, présidente de Women Equity for Growth

Dunya Bouhacene, présidente de Women Equity for Growth

Présidente du Women Equity for Growth, programme visant à l’accompagnement des entreprises de croissance dirigées par des femmes, Dunya Bouhacene apporte des réponses à cette question : pourquoi ces sociétés, alors qu’elles représentent environ 15% des PME françaises, ne concernent que 5% à peine des investissements ?

Observez-vous une méfiance des investisseurs, hommes pour la plupart, vis-à-vis des PME dirigées par des femmes ?

Dunya Bouhacene : Les stéréotypes concernant la distribution du pouvoir économique comme ceux relatifs au profil type du dirigeant d’entreprise sont bien ancrés dans la société française, et les investisseurs en capital n’en sont pas exempts. A cette assertion, ces derniers vous rétorqueront toujours : « absolument pas, ce que je regarde en premier est la qualité du dossier. » Ils n’ont aucune vision sexuée du sujet et n’admettront en aucun cas qu’avoir une femme en face d’eux pose le moindre souci. Pour cause, le stéréotype s’impose aussi à eux, ils n’en ont pas conscience.

Par contre, il est certain qu’un investisseur est complètement baigné dans un univers masculin : il ne rencontre pratiquement que des chefs d’entreprises « hommes », lorsqu’une belle histoire entrepreneuriale est racontée dans la presse, il est souvent question d’hommes, etc. On connaît l’effet de sous-représentation massive des femmes dans les médias. Sans avoir la volonté de les ostraciser, un investisseur a exactement cette vision-là. Une femme dirigeante est de fait perçue comme une aberration statistique. La preuve : on n’en voit nulle part.

Mini Guide Leader

Une dirigeante a-t-elle la même conception du leadership que ses homologues masculins ?

Dunya Bouhacene : Une femme chef d’entreprise se retrouve confrontée à des situations très « genrées ». Elle a dû se forger un rôle qui ne lui était pas destiné. Par exemple, elle a tendance à être très présente sur le terrain. Pourquoi ? Car elle doit constamment, par rapport à ses équipes, à ses clients, faire ses preuves.

Si elle n’occupe pas l’espace, son leadership peut s’en voir diminué. Des études académiques montrent que là où un dirigeant tendra à accorder principalement son attention aux grandes options stratégiques en se disant « nul besoin de mettre les mains dans le cambouis, j’ai des gens pour le faire, puis mon leadership n’est pas contesté donc tout va bien », les femmes s’occupent directement de l’opérationnel. Ce n’est pas le fait d’être une femme qui conduit à cette différence de leadership, mais bien la confrontation à ce que la société attend d’elle.

Les réseaux professionnels accueillent-ils suffisamment de femmes ?

Dunya Bouhacene : Ces réseaux se sont historiquement constitués sans les femmes. Aujourd’hui, pour les dirigeantes, se pose la question évidente de l’agenda. Une femme, même à la tête d’une entreprise, et bien qu’étant la « breadwinner » de la famille, aura généralement une charge privée plus importante que celle de son homologue masculin. Par conséquent, les femmes sont peu représentées dans les réseaux professionnels, donc peu atteignables et peu visibles.

En France, 6% seulement des Business Angels sont des femmes. Les entrepreneuses auraient-elles plus de facilités si ce pourcentage était plus important ?

Dunya Bouhacene : Je n’en suis absolument pas certaine. Il est faux de croire que les hommes sont les seuls porteurs de stéréotypes. Les femmes le sont également. C’est bien pour cela que l’on est face à un problème de société. A mon sens, penser qu’une femme qui investit est plus susceptible d’appuyer un projet porté par une autre femme est un leurre. Si un Business Angel fait son métier correctement, il l’exerce avec les codes de son industrie. Pour changer la donne, il faut que des femmes entrepreneures à succès soient en situation de visibilité.

Quel est votre regard sur l’action de la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, qui souhaite s’attaquer, dès le plus jeune âge, aux stéréotypes ?

Dunya Bouhacene : Porter ce sujet sur le devant de la scène et faire en sorte qu’il soit perçu comme une priorité, notamment économique, me paraît aller dans le bon sens.

La situation est aujourd’hui au-delà de l’aberration. Les femmes étudient plus que les hommes. Or, être diplômé en France signifie avoir bénéficié de la dépense publique, donc de la dépense de tous, l’éducation étant majoritairement gratuite. On ne peut pas avoir entre 55% et 60% de nos diplômés, les femmes, qui partent sur les filières les moins rémunératrices alors qu’in fine, elles mobilisent la majeure partie de la dépense. Ce n’est même pas une question d’équité, de justice, mais juste de rationalité. Il faut arrêter d’éduquer les filles comme on le fait.

 

Claire Bauchart

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