Parler à son boss : l’appli qui change tout ?

Parler à son boss : l'appli qui change tout?

Faire remonter les feedbacks anonymes des salariés aux managers, tel est le défi de jeunes applications lancées récemment dans la Silicon Valley. La communication en entreprise est-elle en crise ? Peut-on espérer que de telles interfaces viennent donner une voix à une majorité silencieuse ? 

Le syndrome de la réunionite s’est propagé dans les schémas organisationnels des entreprises du monde entier. On pourrait à juste titre espérer en retirer une meilleure cohésion entre les équipes, et davantage de dialogue. Malheureusement, nombreux sont les salariés qui en ressortent avec une profonde impression de brasser du vent et de perdre du temps alors qu’ils sont astreints à des objectifs toujours plus pressants. 

« Les entreprises sont muées par une rationalité instrumentale qui a pour but d’atteindre des objectifs toujours à moindre coût, et de plus en plus vite. Or, l’humain est tout sauf rationnel, mais guidé par ses émotions et désirs. Il n’y a qu’à voir ses rapports amoureux ou encore son envie de fonder une famille, sans savoir si ses apports en temps et argent lui apporteront un retour sur investissement », note Pierre-Eric Sutter, psychologue du travail et auteur de l’ouvrage « Réinventer le sens de son travail » (ed Odile Jacob). Et d’ajouter : « les travailleurs ont envie de davantage de contact humain et de convivialité pendant ces réunions, plutôt qu’on leur rabâche les objectifs à atteindre ». Parler à son boss, l’appli qui change tout !

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Trop de turn-over en entreprise

En France, les prétendants à l’entrepreneuriat sont toujours plus nombreux. Si certains sont animés par un projet mûrement réfléchi, d’autres se lancent davantage pour fuir l’ennui, le manque de sens, ou encore des rapports hiérarchiques en entreprise qu’ils ne supportent plus. Quant à ceux qui préfèrent demeurer salariés ? Ils n’hésitent plus à changer régulièrement de job, d’abord parce qu’il existe une certaine injonction à la mobilité professionnelle, mais surtout car ils espèrent que l’herbe sera tout bonnement plus verte ailleurs.

C’est justement pour lutter contre ce turnover que plusieurs applications proposent aujourd’hui aux entreprises de bénéficier de feebacks directs de leurs employés. « Nos employés sont-ils heureux ? Ou envisagent-ils de quitter la boîte ? Quelles décisions pouvons-nous prendre pour les engager davantage ? Telles sont les problématiques visées par les exécutifs qui utilisent notre plateforme », explique Arnaud Grunwald, CEO de la start-up californienne Hyphen, une application mobile développée aux USA mais aussi en France. 

Faire entendre la voix de ceux qui ne s’expriment jamais

La communication entre manager-managé est-elle si défaillante aujourd’hui qu’il faille créer des applications pour permettre aux gens de mieux communiquer entre eux ? A première vue, l’idée de « remplacer la communication directe par une machine pour faire de l’humain » semble quelque peu déroutante pour le psychologue du travail qui rappelle que 94% de notre communication est non verbale et que rien ne vaut un échange dans le réel.

« Cela rajoute un écran supplémentaire entre les gens alors que la communication est déjà difficile avec de fréquentes erreurs d’interprétation. Pour autant, le numérique peut aussi être une formidable opportunité, surtout si la rationalité parvient à rencontrer l’émotionnel. Tout dépend de la manière dont sont ensuite traitées les informations remontées », estime l’expert.

Supplanter le réel n’est en rien l’objectif d’Arnaud Grunwald. Il envisage davantage sa plateforme comme un outil permettant à ceux qui n’osent pas s’exprimer de faire remonter leurs idées et « concerns ». « L’idée de monter Hyphen nous est venue de notre expérience en entreprise. Nous nous sommes rendus compte que tant au niveau des équipes que de la boîte entière, il existait ce que l’on appelle des unknow unknows. En français, cela donnerait les angles morts.

De nombreuses personnes n’osent pas s’exprimer, ou même n’en ont pas envie en public, et gardent leurs conversations pour des échanges dans la cafétéria par groupes de 2 ou 3», affirme le CEO d’Hyphen.

« Il est vrai qu’il y a toujours dans les équipes des leaders d’opinion qui ont davantage de facilité verbale et sont plus dans l’affirmation de soi, et qui vont empêcher les autres de s’exprimer. C’est au manager de réguler cette parole, mais encore faut-il qu’on le laisse le faire », analyse de son côté Pierre-Eric Sutter. Et puis, la peur de louper une promotion enterre définitivement la possibilité de libérer la parole.

« Ce n’est pas un gossip board »

Lors d’une intervention du VP devant toute l’entreprise, qui osera prendre le micro en public quand bien même « il n’y a pas de questions stupides… ». ? Hyphen permet justement de faire remonter des questions de manière anonyme et instantanée lors de ce genre d’événements. L’instantanéité de ces retours est au coeur de la stratégie de ce type d’applications. « Les feedbacks des employés sont d’ordinaire analysés dans les enquêtes de satisfaction des RH.

Mais le problème est qu’en général, seul un tiers des employés répond à ces enquêtes, mais que surtout, les résultats analysés ne parviennent que 6 mois plus tard aux managers. Or, la majorité des problèmes doit être traitée plus rapidement car les choses évoluent vite aujourd’hui », note Arnaud Grunwald.

Si l’immédiateté est primordiale, celle-ci peut faire craindre quelques débordements. Hyphen a justement mis en place des outils pour se prémunir de tout « bashing d’entreprise » comme on peut l’observer sur d’autres sites avec des retours très négatifs d’employés qui viennent par exemple d’être licenciés. « Notre idée est que les discussions ne se passent qu’entre les salariés de l’entreprise, c’est pourquoi nous vérifions leur identité via l’utilisation de leur adresse professionnelle avec un code d’activation. Ensuite, il n’y aura plus aucun contact afin de préserver leur anonymat.

Nous avons aussi des outils qui nous permettent d’éliminer un millier de mots interdits, de flaguer les contenus abusifs, voire d’affliger une penalty box à un usager qui aurait publié plusieurs fois un contenu flagué », affirme le CEO d’Hyphen. En somme, remonter des problèmes oui, mais pratiquer la délation, non ! « « Ce n’est pas un gossip board. Mais nous n’avons pas tellement eu à utiliser ces outils pour le moment », ajoute-t-il.

Des feedbacks pour un changement de cap ?

« L’instantanéité peut être une bonne chose, mais encore faut-il que les contenus remontés soient objectivés », avance Pierre-Eric Sutter. Hyphen est une application gratuite qui peut être amenée dans l’entreprise par un groupe de salariés, mais peut aussi être introduite par l’exécutif. « Nous avons deux audiences : une plus stratégique, utilisée plutôt par l’exécutif et les RH et une autre plus opérationnelle au niveau de l’équipe et des managers », explique l’entrepreneur.

En mode premium, l’application va se charger de traiter les données par le biais d’une analyse sémantique et de faire ainsi émerger des tendances, les comparer à d’autres entreprises du même secteur, et ensuite d’adresser des solutions.  « Les sujets discutés ? Les possibilités de télétravail, le prochain objet d’une réunion, l’organisation des bureaux en open space, mais aussi des réflexions sur le positionnement de l’entreprise qui peuvent remonter jusqu’au CEO », rapporte Arnaud Grunwald.

L’objectif est donc que le manager et l’entreprise démontrent qu’ils ont bien pris en considération la problématique, engagent la discussion et apportent des solutions. Les réponses des « officiels » sont ainsi signalées aux utilisateurs de l’application.

« Je ne dis pas qu’Hyphen va rendre les personnes moins timides, mais son objectif est de faire émerger sur la table des sujets brûlants, et de donner une voix à des gens qui n’osent pas parler et ont pourtant sûrement des choses intéressantes à dire », affirme l’entrepreneur. Utilisée en France par Capgemini, l’application aurait permis aux équipes « de communiquer plus ouvertement et d’être davantage soudées », selon le témoignage d’Elodie Boucher, manager.

Une application comme porte-voix d’une majorité silencieuse, qu’est-ce que cela vous inspire ? Donnez-nous votre avis !

@Paojdo

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