Carrière et ambition féminine : avec Numéro Une Tonie Marshall réalise un film engagé

Tonie Marshall : Numero Une

Comment arriver à être Numéro Une ? Accéder au pouvoir ? Être en capacité de prendre des décisions, mais aussi vivre sa vie de femme ? Autant de questions soulevées par Numéro Une, le nouveau film de Tonie Marshall. Elle a dû se battre pour le réaliser et signe ici un film engagé et nécessaire. Interview.

Comment est né l’idée de ce film ?

En 2009, je venais de faire une série qui s’appelait Vénus et Apollon et je trouvais que la série était un format formidable. J’ai alors eu envie de raconter l’histoire d’un réseau féminin qui se réunissait tous les mois avec une invitée. Il y avait 8 personnages principaux, 8 épisodes avec, à chaque fois, le parcours de femmes dans différents domaines : politique, sport, industrie, media mais je n’ai jamais trouvé de chaînes que cela intéressait donc j’ai laissé tomber.

Mais pour vous il fallait parler de ce sujet, vous n’avez pas lâché ? 

Oui,car la période n’est pas si évidente que cela pour les femmes, il y a certes des avancées mais aussi des régressions. Je me suis donc dit qu’il fallait reprendre ce sujet et en faire un film. J’ai pensé qu’une grande entreprise du CAC 40 était un environnement idéal pour regarder comment et pourquoi les femmes n’arrivent pas aux postes de décisions.

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Pourquoi, y a t-il eu autant de freins pour la série, vous l‘expliquez –vous ? Les femmes n’aiment pas qu’on les confronte à cette réalité ?

Je n’en sais rien, j’en ai parlé à un producteur avec qui je venais de faire un film et je lui ai passé mes trente pages et il m’a dit : mais qui cela peut-il intéresser ? On m’a dit que cela ne serait pas cinématographique, que c’était trop bavard.

Un des challenges était de faire un film où les gens ne s’ennuient pas et puissent s’identifier à ce personnage féminin, qu’elle soit humaine, qu’elle ait des questions personnelles à gérer. Toute la difficulté du film a été de le rendre le plus partageable possible par le plus grand nombre possible. Je fais beaucoup de promotion en province et beaucoup de femmes travaillant dans de petites entreprises viennent me voir car elles se reconnaissent dans ces problématiques évoquées dans le film.

Cela met en question une organisation masculine qui existe depuis la nuit des temps: l’homme qui n’a pas besoin de s’occuper de l’agenda de la famille, la question des pulsions masculines. Dans cet univers marqué par les codes du masculin, il semble être plus difficile pour les femmes d’arriver aux postes de décisions. Elles sont obligées d’emprunter des chemins plus compliquées. Or, il ne faut pas que les femmes s’adaptent à cet environnement mais au contraire que celui ci s’adapte un peu plus à elles. Ce film va beaucoup plus loin que la prise de pouvoir par une ambitieuse.

 

 Vous avez enquêté et rencontré de nombreuses femmes de pouvoir pour faire ce film, qu’est ce qui vous a le plus marqué chez elles?

Une des qualités de ces femmes est leur capacité de résistance que je vois plus chez elles que chez les hommes.

Vous mettez en avant dans le film, l’entraide féminine pour aider l’une d’entre-elles à intégrer la présidence d’une entreprise du CAC 40, est-ce si évident dans la réalité?

Non, ce n’est pas évident du tout, c’est la seule chose qui n’est pas réaliste dans le film, le reste l’est totalement, même pour la violence de ce qui peut se passer, je suis en deçà. Ce qui n’est pas réaliste c’est la puissance de lobbying de ce club féministe. Elles m’ont toutes dit que cela n’existait pas car les clubs de femmes existent depuis beaucoup moins longtemps. Les clubs masculins eux, existent depuis le 19ème siècle. Il y a une espèce de cooptation qui se fait depuis bien plus longtemps et les réseaux féminins doivent trouver leur façon de fonctionner mais pour l’instant ils n’ont absolument pas cette puissance de feu.

Il y a beaucoup de réseaux féminins dans les faits mais il y a une forme d’éparpillement en fait ?

Bien entendu, je voyais bien qu’il y avait dans les entreprises des réseaux féminins mais c’est surtout un outil qui permet de se sentir moins seule et d’imaginer que c’est possible d’avoir un peu d’ambition. Le schéma de conquête aujourd’hui est totalement balisé par le masculin. Isabelle Kocher est extrêmement fragilisée par exemple car c’est la seule.

Emmanuelle Devos, incarne à la fois cette femme forte, de grand talent : polytechnicienne, parlant le chinois… On pense à cette phrase de Françoise Giroud : “La femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente”. Nous en sommes encore loin ?

Oui, nous en sommes encore très loin… Il faut se battre pour que cela évolue. 

Vous abordez le sujet clé du couple et la question des doubles carrières et posez finalement cette question. Quel type d’homme peut accepter d’être avec une femme qui a de l’ambition ?

C’est sûrement difficile mais je ne connais pas de vie de couple sereine ! C’est vrai que quand une femme prend la lumière, il faut être un homme très intelligent, très moderne, très fin pour l’accepter.

Toutes les femmes que j’ai rencontré ont d’ailleurs rendu hommage à leur mari ou leur compagnon en disant qu’elles n’y seraient pas arrivées s’il n’y avait pas eu un partage des responsabilités, des tâches, de la charge mentale. Il faut arrêter aussi de culpabiliser les femmes qui ne vont pas chercher leur enfant à l’école tous les jours. J’entends souvent après le film des réflexions d’hommes qui me disent : tout de même elle ne voit pas beaucoup ses enfants !Et je leur demande : et vous vous allez souvent chercher vos enfants à l’école ? Cela m’arrive disent-ils ! Evidemment, beaucoup n’y vont jamais.

C’est un film engagé qui soulève des problématiques clés sur la place des femmes dans le monde du travail. Qu’est ce que vous aimeriez que l’on retienne comme message ?

J’ai eu des jeunes filles qui sont sorties du film en me disant que cela donnait vraiment envie de faire, de se bouger, que cela valait la peine.

Je crois que si on dit aux femmes qu’elles vont devoir faire des sacrifices pour avoir le pouvoir, beaucoup se diront : mais à quoi bon ? Mais si on leur dit que ce combat peut changer quelque chose dans la société beaucoup iront. Elles veulent un but, un projet et pas seulement un statut et un poste. Il faut aussi que cela ouvre sur quelque chose de plus large qui va servir à leurs enfants.

Véronique Forge

Crédit photo : Marcel Hartmann

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