L’incroyable histoire de Fei

Fei

Xu Ge Fei est une jeune femme de 33 ans pleine de vie au parcours hors norme. Elle nous reçoit à Paris dans le 20e arrondissement, dans les locaux de sa maison d’édition Fei, consacrée aux bandes dessinées franco-chinoises. Fei signifie en chinois « petit à petit révolutionner toutes les choses qui sont injustes ». Un prénom prédestiné pour cette ambassadrice de rêve et de liberté qui était il y a quelques semaines nommée comme Rising Talent au Women’s Forum (et qui a représenté avec 30 autres jeunes entreprises la France au G20 à Moscou cet été). Nous avons voulu nous pencher sur le destin hors du commun de cette jeune Chinoise qui a voulu faire de sa vie un roman…

Un parcours digne d’un roman…

Elle a aujourd’hui la tête rasée, on l’imagine en amazone ou guerrière qui aurait vaincu toutes les batailles. Pourtant le chemin qu’elle a parcouru pour en arriver là a été long et semé d’embûches. A force de courage et de détermination, elle a su relever avec les défis qui se présentaient à elle.

Originaire d’Antu, Fei est née dans un camp forestier communiste à la frontière de la Corée du Nord et de la Chine. Petite dernière d’une fratrie de deux enfants, elle naît deux mois après la mise en place de la loi de l’enfant unique. Sa mère fera croire que sa naissance a eu lieu deux mois avant son application, sauvant ainsi sa famille d’une privation de tickets de rationnement et de vivres et d’une mort certaine pour la petite Fei.

Les revenus de la famille sont maigres. Son père est bûcheron et sa mère travaille pour la cantine du camp. Pourtant, la petite fille garde un souvenir ému de son enfance au milieu des animaux, de la nature verdoyante, de l’amour et du regard de fierté que lui apportèrent ses parents : « quand on est enfant on ne se rend pas compte de la pauvreté, je trouvais la nourriture délicieuse et j’adorais vivre au milieu des petits cochons et des serpents. »

Ou l’histoire d’un combat pour la liberté

De ses 5 à 19 ans, la famille part s’installer dans la ville de Changchun, où vit son grand-père, un vieux sage intellectuel qui se révèle pourtant dur avec elle. Il lui explique que la plus belle chose au monde est de pouvoir exercer le métier de professeur et que la plus grande vertu d’une femme est l’ignorance. Face à de telles contradictions, Fei commence très tôt à se poser des questions sur ce qu’elle doit faire de sa vie : rester une fille bien sous tout rapport et être condamnée à l’ignorance ou chercher à amasser le plus de connaissances possible pour devenir professeur. C’est la deuxième option qu’elle choisit. Paradoxalement l’école n’est pas sa meilleure amie.

Elle n’aime pas son système trop rigoureux qui la rend malheureuse. Elle quitte le cursus scolaire normal à l’âge de 16 ans mais conclut un pacte avec ses parents : elle étudiera en autodidacte pendant deux ans et demi et acceptera d’apprendre la comptabilité et l’informatique qui sont, pour eux, les deux matières primordiales pour trouver un travail. En se déguisant en ouvrier et en empruntant la carte de son frère, elle assistera ainsi à des cours gratuits diffusés dans l’usine où travaillait son frère et apprendra l’anglais.

La vie est ailleurs 

Avec ce bagage en poche, l’aventurière qu’elle est, décide à 20 ans de partir vivre seul à Shenzhen, une ville nouvelle, en face de Hong-Kong. Hasard ou destinée, elle y croisera trois fois en moins de six mois un homme qui lui dira que son avenir n’est pas ici, qu’elle doit aller à Shanghai et que Paris lui appartient.

Avant Paris, cela sera Shanghai. A cette époque, elle commence à faire des recherches sur la France et prend des cours de français à l’Alliance française de Shanghai qu’elle paye avec ses économies. Elle est fascinée par la langue française et sa culture : « je me réveillais avec la radio française, je tapissais ma chambre de posters de Jeanne Moreau et de Paris, je ne regardais plus que des chaînes françaises, je me débrouillais pour acheter dans la rue des films français piratés, je me couchais en analysant des cartes de la France… » se souvient-elle. Mais Paris est encore loin, elle calcule qu’avec le salaire qu’elle gagne, il lui faudra huit ans pour pouvoir se rendre en France. C’est long mais cela n’a pas d’importance, c’est désormais l’objectif de sa vie.

Devant sa détermination, ses parents décident, sans lui en parler, de vendre leur appartement en 2003 afin qu’elle puisse venir plus tôt en France. Ils iront même jusqu’à vendre leurs alliances pour que Fei puisse partir avec 10 000 euros en poche.

Une Chinoise à Paris 

Arrivée à Paris, un visa d’étudiante en poche, Fei fait le tour de l’Europe jusqu’à ce que ses économies soient presque épuisées. Elle enchaîne alors pour survivre des petits boulots payés une misère. Le destin lui sourit pourtant encore puisque grâce à un ami, elle obtient un certificat de travail et commence son premier emploi officiel dans une société de web marketing française. Fei le sait, elle a la chance d’être chinoise et de parler la langue d’un pays tant convoité commercialement. Elle se retrouve donc, à seulement 26 ans, directrice commerciale pour la Chine et négocie même un appartement de fonction à Pékin, qu’elle changera plus tard pour Shanghai.

Le rêve pour elle puisque ce travail lui permet de très rapidement rembourser l’appartement de ses parents et de leur rendre visite plus de six fois par an. « Ce travail était tellement parfait pour moi que ça en était troublant. »Sortant à cette époque-là avec un écrivain américain vivant entre New-York et Honolulu, elle fera plus de sept fois le tour du monde en une année. »

Le début du reste de sa vie… 

Fei est une rêveuse. Elle a grandi dans un milieu pauvre, mais son grand-père était un fin lettré qui fût même emprisonné pour cela lors de la Révolution culturelle maoïste des années soixante. C’est lors d’une présentation commerciale devant un client à Shanghai qu’elle prend conscience qu’elle n’a que 27 ans mais que le temps passe et que son avenir est ailleurs. Elle décide de quitter son job et tous les avantages qu’il lui apportait pour revenir à ses premiers amours qui ont changé sa vie : les livres et les mots. Elle veut créer une maison d’édition avec l’ambition de changer la vie des autres grâce aux livres.

Tout se révèle pourtant plus compliqué que prévu et son talent et sa détermination ne suffisent pas. Elle se retrouve petit à petit sans argent mais le destin là encore semble frapper à sa porte : « Un jour où j’étais très déprimée, je suis partie courir dans le parc Monceau et j’ai parlé à mon magnifique platane de 400 ans que j’appelle Théodore. Je venais de recevoir une lettre des impôts qui me désespérait. Je pleurais à chaudes larmes quand Patrick est venu me voir. Nous avons parlé pendant des heures. C’est là que tout a commencé. »

Sa rencontre avec Patrick Marty, scénariste, va changer le cours des choses. Il lui propose d’écrire avec elle le scénario de sa vie, un récit autobiographique : « Petite fleur de Mandchourie», qui sort en 2010 aux éditions Fei fondées un an plus tôt. Depuis, de nombreuses bandes dessinées ont été publiées, certaines ont été vendues à plus de 500 000 exemplaires. L’ambition de Fei est de faire découvrir la Chine à la France à travers des bandes dessinées dont le scénario est écrit par des Français mais les dessins réalisés par des Chinois.

Elle souhaite ainsi participer à son niveau à une meilleure connaissance de son pays et atténuer les peurs, car comme elle le dit souvent : « La France et la Chine ont beaucoup en commun : une grande histoire, une littérature et le poids de la gastronomie au quotidien. » A cet égard, elle ajoute : « Les Français comme les Chinois sont les seuls capables de parler de nourriture pendant tout un repas ! ».

La maison d’édition est aujourd’hui florissante et projette désormais de se développer dans l’audiovisuel avec un film en préparation. Les aventures de la petite Chinoise d’Antu sont donc loin d’être finies…

 

Les bandes-dessinées phares de la maison :

– Les aventures du Juge Bao (tomes 1 à 4 sur 6 prévus)

– Au bord de l’eau (premier tome de l’adaptation des 4 grands classiques chinois)

– Les trois royaumes (paru le 25 octobre 2013)

 

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