L’économie du partage: rien ne se perd, tout se loue?

économie du partage: rien ne se perd, tout se loue?
Crowdfunding, coworking, covoiturage… L’heure est au partage, à celui qui se monétise. Un marché mondial pesant aujourd’hui 12 milliards de dollars et qui devrait en atteindre 270 d’ici 2025, selon PwC. Mode juteuse ou changement en profondeur de notre mode de consommation ? Enquête.

« L’idée m’est venue lors d’un week-end. Je devais me rendre à Marseille pour un mariage. Je m’étais dit : «  je trouverai bien un copain à la gare pour m’accompagner ou je louerai une voiture. » Sauf qu’une fois sur place, nul ami à l’horizon et aucune voiture disponible chez les loueurs. » Marion Carrette s’amuse de cette anecdote qui l’a menée bien au-delà de la Cité Phocéenne. « A côté de cela, le parking de la gare était surchargé, rempli de voitures qui dormaient, poursuit-elle. J’ai tout de suite songé à quel point la situation était absurde et en suis venue à me dire que l’on devrait pouvoir se louer des voitures entre particuliers. C’est comme cela que Zilok est né.» économie du partage

Des concepts attractifs pour les investisseurs, séduisants pour les utilisateurs

Une plateforme web basée sur la location et le partage de biens que Marion Carrette n’a eu aucun mal à valoriser lorsqu’elle a cherché à lever des fonds : « J’ai eu la chance de rencontrer assez vite Marc Simoncini qui a tout de suite vu dans Zilok un potentiel. Il trouvait même le concept assez proche de celui de Meetic. » Résultat : une levée de fonds de 2 millions d’euros.

Huit années après son lancement,  Zilok  compte 350 000 membres et s’est spécialisée dans la location de tous types d’objets. 300 000 sont disponibles sur le site. Forte de ce succès, l’entrepreneure a choisi de dédier un second site uniquement à la location de véhicules entre particuliers : Ouicar, comptant 300 000 membres pour 16 000 voitures actives.

« La crise économique se combine à une prise de conscience de l’abus des matières premières, » explique Jean-Michel Cagin, associé du cabinet de conseil en stratégie OC&C, à l’origine d’une étude sur l’économie du partage. « Ajoutons à cela l’arrivée dans la population active des générations Y et Z. Ces-dernières sont issues de la crise, ont des valeurs et manières de penser différentes de leurs parents. Lorsque l’on met tout cela bout à bout, on aboutit à un phénomène massif et durable. » D’autant que dans cet univers du partage la recommandation tourne à plein régime et permet d’accroître rapidement le nombre de clients potentiels : « c’est un système gagnant à tous les niveaux, ajoute Marion Carrette. Le loueur a plus d’argent, le locataire en économise. Du coup, le bouche-à-oreille se met en place facilement, pour notre plus grand bénéfice. »

Des convertis dans toutes les strates sociales

Ainsi, selon OC&C, 48% des Français ont déjà testé l’économie du partage. Des adeptes qui s’échangent en moyenne 100 euros par mois. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces disciples du troc digital ne sont pas uniquement des jeunes urbains. « Toutes les franges de la population sont concernées : les seniors, les ruraux voire même les revenus élevés, commente Jean-Michel Cagin. » Un éventail de profils aux motivations diverses : « sur Airbnb par exemple, poursuit-il, vous trouvez celui à la recherche de rencontres, le semi-professionnel voulant rentabiliser son patrimoine ou un autre luttant contre l’utilisation abusive de biens de consommation. »

Des aspirations multiples que Marion Carrette retrouve parmi les inscrits à ses plateformes : « sur Ouicar, nous avons effectivement des personnes cherchant à arrondir leurs fins de mois et d’autres voulant rentabiliser une voiture qui dort dans leur garage. Quant à Zilok, on a des retraités, des jeunes… Cela dépend des biens à louer ! »

Car depuis quelques années, les possibilités de partage ne cessent de s’élargir : objets, transports, financement participatif, logement… En 2015, sur la Toile, tout se loue, ou presque. « La crise a rendu possible des choses tabous, analyse le sociologue Nathan Stern. Générer de petits  compléments de revenus est désormais perçu comme quelque chose de malin d’opportun et non plus comme le symptôme d’une détresse économique. Les résistances culturelles au partage ont été levées par les opportunités économiques que proposent les plateformes web. Valoriser son appartement sur Airbnb est une manière de s’ouvrir au monde, de tisser des liens, bref, de joindre l’utile à l’agréable, » argumente-t-il.

A ceux d’entre vous qui ne seraient pas encore convaincus par cette nouvelle économie, Marion Carrette saura peut-être vous persuader: « une perceuse n’est utilisée en moyenne que 12 minutes alors même qu’elle est conçue pour fonctionner des milliers d’heures. Partant de là, est-on systématiquement forcé de se tourner vers l’achat ? Ne peut-on pas opter pour d’autres modes de propriétés ? »

Un argument de poids d’autant plus qu’il s’applique désormais à pratiquement toutes les catégories d’objets et de services. « 1995 marque le début de l’économie du partage avec Ebay qui réunissait déjà les ingrédients de base : les échanges entre particuliers facilités par la technologie, analyse Jean-Michel Cagin. Depuis, le périmètre d’activité ne cesse d’augmenter avec l’apparition d’acteurs comme Blablacar, Airbnb, Zilok etc. »

Un succès qui croît avec « les progrès de la culture numérique et la généralisation des smartphones chez les particuliers, » ajoute Nathan Stern.

Quid des entreprises déjà installées ?

Mais dans ce monde digital, où tout semble s’échanger, se prêter grâce à des simples clics, comment réagissent les acteurs traditionnels du monde économique ? Jean-Michel Cagin en distingue trois profils : « certaines entreprises passent complètement à côté de l’économie du partage, mais pire encore, sont dans l’ignorance, voire même dans le dédain. Viennent ensuite celles qui perçoivent qu’il y a un vrai phénomène mais ne savent pas encore comme réagir. Enfin, des sociétés établies tentent de bouger et de s’adapter. » C’est le cas notamment de la SNFC qui a lancé IDVroom, service de co-voiturage dédié aux petits trajets, permettant ainsi non plus de se déplacer de gare en gare, mais du point de départ réel à l’adresse d’arrivée.

D’autres structures tentent elles d’approcher les pure players de l’économie du partage. « Il y a quelques années, on a établi un partenariat avec Citroën : on leur offrait la possibilité de louer des véhicules électriques entre particuliers. Cela a été un gros succès », raconte Marion Carrette.

Un accord, exemple de la synthèse des entreprises de l’Ancien et du Nouveau Mondes ? « Nous nous dirigeons vers l’union des deux, assure Jean-Michel Cagin. Blablacar ne va pas se substituer aux voyages en train : à l’avenir, nous aurons d’un côté l’installation d’infrastructures et l’existence d’actifs, de l’autre, l’utilisation optimisée de biens partagés. Je pense que cette combinaison sera la meilleure à la fois pour les utilisateurs et le développement durable. »

Un modèle certes hybride mais qui pourrait bien bousculer de nombreuses industries établies. « La digitalisation permet à tellement d’acteurs jusque là extérieurs d’intégrer le marché que beaucoup d’industries n’ont aucune chance de résister, à part celles qui réclament des normes d’investissement comme le nucléaire ou l’aéronautique », commente Nathan Stern. Une prédiction déjà formulée par l’Américain Jeremy Rifkin prédisant dans le titre de son dernier livre une « société coût marginal zéro” et “l’émergence de communaux collaboratifs. » « Si l’on prend Blablacar, ils ont réussi à mettre en place une infrastructure de transport très performante avec des investissements très modestes, rebondit Nathan Stern. On va tendanciellement baisser le coût unitaire de tout un tas de produits. »

Interview de Jeremy Rifkin sur la BBC en 2014

 

Vers une autre conception de la consommation ?

Plus que les potentielles difficultés économiques engendrées par un tel modèle, le sociologue préfère se concentrer sur le côté positif : « une nouvelle culture est en train d’émerger, celle du partage, de la coopération, de la confiance a priori. L’autre n’est plus considéré comme une menace mais comme une ressource potentielle. »

Une analyse qui recoupe celle de Jean-Michel Cagin : « A terme, il n’y aura plus d’organisme établi et pérenne, mais des grappes d’individus qui s’unissent et se désunissent. » Dans ce cadre, l’e-reputation a de beaux jours devant elle : « le fait d’être un bon vendeur, un bon acheteur, un bon passager seront des identifiants de l’actif de chacun. Les individus auront leurs notes dans toutes leurs spécialités. Un sorte de bilan individuel avec son actif et ses passifs. »

Une description qui se conjugue déjà au présent pour Marion Carrette. « Sur Ouicar et Zilok, on a quelques utilisateurs au chômage pour qui gagner 100 euros en louant des voitures ou des objets n’est pas négligeable. J’aime bien cette idée que les gens se prennent en main, commente cette créatrice invétérée avant de rajouter : « de plus en plus de gens télétravaillent, sont freelance, créent leur activité. Bref, beaucoup n’ont plus envie de s’embêter avec des intermédiaires. » Pour elle, c’est tout le système salarié classique qui est en train d’imploser. Et de conclure : « on est dans une société qui se veut légère et réactive. » La naissance, en quelque sorte, du consommateur entrepreneur.

@clairebauchart

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