Amélie Motte : “En France, on a un problème avec le mot bonheur”

Amélie Motte

« Le bonheur au travail doit être un objectif en soi et non un outil au service de la performance », tel est en substance le message d’Amélie Motte, fondatrice de l’Académie Spinoza qui s’est donnée pour mission de former les futurs acteurs du bonheur en entreprise. Elle nous livre ici ses conseils pour initier des changements en profondeur, notamment à travers le métier de Chief Hapiness Officer.

« En France, on a encore un problème avec le mot bonheur », lance celle qui officie en tant que Chief Hapiness Officer au sein de la Fabrique Spinoza, un think tank citoyen lancé en 2014. Un métier encore méconnu que certains exercent sans en revendiquer le titre, préférant des appellations du type « Directeur de l’engagement » ou « Chargé de l’expérience positive », tandis que les DRH ont tendance à le bouder, « sûrement parce qu’ils désireraient pouvoir eux-mêmes être garants du bonheur de leurs salariés, ce qui se comprend ».

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Pourtant, il existe aujourd’hui une réelle science du bonheur avec l’apport des neurosciences et de la psychologie positive. Le Chief Hapiness Officer peut donc s’appuyer sur un arsenal d’outils pour fonder sa stratégie. « Les entreprises recherchent des profils de plus en plus robustes, car si certains CHO sont payés comme des stagiaires, d’autres ont de réels mandats et sont membres du comité de direction avec des salaires atteignant 8000€ », illustre Amélie Motte.

Car se charger du bonheur de ses collaborateurs est une tâche primordiale, et ce, même pour un organisme comme La Fabrique Spinoza. « Je dois veiller à ce que l’association grandisse sereinement et que chacun s’épanouisse. Nous faisons plutôt face à un problème de surengagement chez nos collaborateurs, et devons donc faire attention à ce qu’ils ne s’épuisent pas. Nous nous questionnons également sur la reconnaissance de nos bénévoles. Comment les valoriser alors qu’ils ne sont pas payés ? Et puis nous réfléchissons à notre mode de gouvernance », autant d’expériences en interne qui nourrissent les formations qu’elle délivre ensuite au sein de l’Académie Spinoza.

Cette Académie propose ensuite des relais dans toute la France à travers les « Passeurs du bonheur », des communautés d‘individus qui œuvrent ensemble pour maintenir l’engagement de chacun, afin que le soufflet ne retombe pas.

Le happybashing, ou la critique d’un modèle utilitariste

En France, les freins sont encore nombreux à la prise en charge du bonheur en entreprise. Pourtant, les baromètres prouvent régulièrement qu’une part importante de salariés est très insatisfaite en entreprise. « Beaucoup d’entreprises considèrent que la prise en charge du bien-être de leurs salariés n’est pas prioritaire. Mais c’est parce que les salariés sont heureux que l’entreprise va bien fonctionner », atteste Amélie Motte qui anticipe immédiatement les critiques autour de cette promotion du bonheur en entreprise dont certains dénoncent une vision utilitariste, c’est-à-dire qui n’interviendrait que dans un objectif de plus de performance.

« Pour fonctionner, cette démarche doit être 1. Sincère 2. Inclusive 3. S’inscrire dans la durée. Il ne faut pas prendre les salariés pour des idiots. Si l’on fait venir une masseuse et que l’on donne dans le même temps des objectifs impossibles, cela ne peut bien entendu pas fonctionner. Le bonheur au travail est un objectif en soi, pas un outil. Cet objectif requière de revoir tout le système de valeurs de l’entreprise, et cela prend du temps car tous les services d’une entreprise sont touchés : communication, marketing, service client, DRH. C’est une thématique transverse », martèle Amélie Motte.

Une démarche systémique

Pour faire évoluer les choses en profondeur, la démarche doit donc se fonder sur différents principes. Le CHO n’est pas un organisateur d’apéritifs géants ! Il doit être soutenu par une hiérarchie et avoir les moyens de ses ambitions. Son travail consiste d’abord à diagnostiquer l’entreprise afin de trouver les bons axes de travail. Doit-il agir sur le sentiment d’appartenance ? Le sens ? La reconnaissance ? Doit-il améliorer le management ? Suite à cela, il peut mettre en place différents outils, et certains ne coûtent pas un centime ! « Par exemple, s’il faut agir sur le manque de reconnaissance, on peut instaurer des réunions de gratitude, ritualiser des temps pour se dire merci », illustre Amélie Motte.

Le type d’initiatives qui ont été récemment récompensées lors des Awards du bien-être au travail de Bloom at Work dont elle était jury. Par exemple, dans la catégorie 0€, l’entreprise Fullsix a été distinguée pour ses « Selfies de l’Avent ». L’idée ? Pour que chacun se connaisse mieux dans l’entreprise, les salariés sont invités chaque jour à découvrir un collaborateur mystère. Des indices sont envoyés, et le but est d’être le premier à se prendre en photo avec le collaborateur mystère. A la suite de cela, un email est envoyé à tous, incluant le selfie afin d’en savoir plus sur les collaborateurs présents sur la photo.

Si vous désirez découvrir d’autres projets, cap sur l’Université du bonheur au travail organisée par la Fabrique Spinoza, du 29 novembre au 1er décembre au Campus Serge Kampf à Chantilly.

Le bonheur, l’affaire de tous

Toutes ces démarches doivent être inclusives, car chaque collaborateur est dépositaire du bien-être de l’autre. « Certains critiques de la happycratie craignent que la prise en compte du bonheur rende les individus plus nombrilistes. Or, l’interaction sociale est un levier fondamental du bonheur. Nous avons besoin des autres pour être heureux, et cela crée un cercle vertueux puisque l’on va ensuite s’engager pour les autres », affirme Amélie Motte. Un point que Bouygues Immobilier a bien compris en créant son réseau de « Bienveilleurs ».

Il s’agit de salariés volontaires qui ont été choisis pour leurs soft skills et ont été formés pour identifier et écouter leurs collègues en difficulté, et les rediriger vers le médecin du travail ou la DRH lorsque cela est nécessaire.  « Contrairement à ce que pensent certaines entreprises, le bonheur des salariés n’est pas qu’une question individuelle, elle est aussi leur affaire. Cela est d’autant plus important que le contrat social entre la jeunesse et les entreprises doit être entièrement  revu », poursuit-elle.

La question du bonheur, comme celle de l’écologie, nécessite donc de faire évoluer notre modèle. Comme le démontre le paradoxe d’Easterlin, une fois arrivé à un certain seuil, une augmentation du PIB ne coïncide pas avec une hausse du niveau de bien-être ressenti par les individus. « Et à quoi cela sert d’être plus riches si l’on n’est pas plus heureux ? », s’interroge Amélie Motte. Un changement de paradigme que les entreprises et politiques doivent opérer pour rester en phase avec les nouvelles aspirations de la jeunesse.

@Paojdo

Pour aller plus loin : La boîte à outils du Chief Hapiness Officer, Amélie Motte, Saphia Larabi, Sylvain Boutet, Dunod, septembre 2018

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