L’ambition féminine ou comment sortir de l’ombre

ambition féminine ou comment sortir de l’ombre

Une récente étude de l’association « HEC au féminin » révèle qu’au sein d’une même promotion, seules 17% des diplômées ont accès à des postes de dirigeantes contre 32% de leurs camarades masculins. Comment expliquer ces écarts ? L’ambition féminine est-elle plus compliquée à affirmer ? Quels en sont les freins ? Eléments de réponses auprès de femmes actives et volontaires.

« Il faudra que la femme (…) se coule dans un monde qui l’a vouée à la passivité », écrivait Simone de Beauvoir dans son Deuxième Sexe. Un cinquantaine d’années plus tard, les Françaises se sont heureusement émancipées dans bien des domaines, mais un bout de chemin non négligeable reste encore à parcourir : deux ans après être sortie de l’école, une jeune fille gagne en moyenne 20% de moins qu’un homme. Plus parlant encore, une récente étude de l’association « HEC au féminin » révèle qu’au sein d’une même promotion, seules 17% des diplômées ont accès à des postes de dirigeantes contre 32% de leurs camarades masculins.

Comment expliquer ces écarts ? L’ambition féminine est-elle plus compliquée à affirmer ? Quels en sont les freins ? Eléments de réponses auprès de femmes actives et volontaires.

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« Un jour, alors que je venais de prendre un nouveau poste, j’ai retrouvé les fiches de paye de mon prédécesseur qui les avait oubliées dans un tiroir. J’ai alors constaté que j’étais sensiblement moins bien payée que lui. » Dominique Lévy-Saragossi, actuelle directrice générale d’IPSOS, n’a rien oublié de cet épisode vécu il y a une dizaine d’années dans une autre entreprise. « Je suis allée voir mon chef en lui disant : « Il faudrait rendre ses fiches de salaire à Machin et peut-être pourrais-tu m’expliquer pourquoi  je suis payée moins pour le même job? » Là, il m’a lancé : « Mais tu es très bien payée pour une femme de 32 ans. » » 

Face à ce qu’elle décrit comme du « sexisme ordinaire », Dominique Lévy-Saragossi n’a à l’époque pas été en mesure de rétablir l’inégalité : « Quand vous venez de prendre un poste, la première chose dont vous avez envie n’est pas de rentrer en conflit avec votre hiérarchie mais plutôt d’essayer de prouver que l’on eu raison de vous faire confiance. »

Aujourd’hui à la tête d’une société de 650 employés, dont 65% de femmes, la dirigeante affirme : « Ce que beaucoup de coachs décrivent chez les femmes comme le syndrome de la bonne élève, de la bonne copine, c’est-à-dire de la fille qui veut cocher les bonnes cases, pas faire de vagues, éviter les conflits, je l’observe dans mon environnement professionnel. C’est l’un des freins extrêmement puissants à l’ambition féminine. Moi, j’ai des hommes qui me disent « non » beaucoup plus facilement. » 

Des stéréotypes encore prégnants

Les filles trop bien élevées là où les garçons ne se posent pas de questions ? Pour Sarah Saint-Michel, auteure d’une thèse intitulée L’impact du genre sur les traits de personnalité des leaders et les effets sur leur style de leadership”, les femmes sont bâillonnées entre le plafond de verre d’un côté et un standard de compétence de l’autre : « Il y a à la fois des freins qui viennent directement des pratiques de l’entreprise mais également des barrières individuelles que les femmes se mettent seules et qui les empêchent de prendre leurs positions dans les postes stratégiques. »

Des barrières psychologiques qui trouvent leurs racines dès l’enfance. Selon un sondage IPSOS publié en avril 2014, moins d’une femme sur deux déclare avoir reçu les valeurs pourtant cruciales de l’ambition que sont l’envie de se surpasser et de gagner. Une éducation aux répercussions professionnelles concrètes. Ainsi, face à une promotion, près d’une femme sur deux se demande si elle est capable d’assumer ses nouvelles responsabilités, 32% se posent la question de leur légitimité contre à peine plus de 20% des hommes.

Plus significatif encore, un tiers des femmes concernées s’inquiètent de savoir comment elles vont bien pouvoir concilier leurs nouvelles fonctions avec leur vie familiale, au point de réclamer lors de la prise de poste, des aménagements dans l’organisation du travail, plus qu’une augmentation de salaire.

« Les stéréotypes ont la vie dure », affirme Dominique Lévy-Saragossi. « Quand vous demandez aux gens en couple « qui s’occupe des tâches domestiques chez vous ? », les hommes répondent majoritairement « On partage » et les femmes « C’est moi ». En plus, ce que les hommes appellent « s’occuper des tâches domestiques », c’est décharger leur femme d’un petit nombre de choses assez mineures. L’idée reste que cela relève de la responsabilité féminine et que l’homme rend service en y prenant part. »

Quid de la jeune génération ?

Des freins qui semblent bien ancrés, même au sein des jeunes générations. Toujours selon IPSOS, 60% des jeunes femmes âgées de 18 à 29 ans ont d’ores et déjà intégré le fait qu’elles devront mettre leur carrière en stand by dans les années à venir. Plus d’un tiers des Français, hommes et femmes confondus, considèrent qu’une femme s’épanouira plus dans son rôle de mère que dans sa carrière professionnelle.

Une vision que conteste ouvertement le philosophe Vincent Cespedes, auteur d’un essai sur l’ambition (L’ambition ou l’épopée de soi, Flammarion) qu’il définit comme une volonté puissante de consacrer son existence à la réalisation de sa passion: « Lorsque l’on est ambitieux, le privé doit servir la carrière. Le bonheur du foyer doit donner de l’énergie pour réaliser ses rêves. L’idée selon laquelle il faudrait tenter de manager, trouver une sorte d’équilibre entre vies privée et professionnelle est une invention masculine pour que les femmes continuent de faire à manger et de s’occuper des tâches domestiques. »

Un discours féministe à une époque où ce combat apparaît dépassé pour 39% des Français (IPSOS). Plus de 35% des femmes jugent même que l’on en fait un peu trop autour des inégalités professionnelles entre les sexes.  « Quand vous apprenez à certaines jeunes femmes que le droit de travailler sans demander l’autorisation de son mari ou d’ouvrir un compte en banque ça n’a jamais qu’une quarantaine d’années, elles vous regardent en disant : « Ah bon !». Pour elles, c’est absolument acquis », commente Dominique Lévy-Saragossi. « Je pense que les femmes de ma génération ont eu des mères pour lesquelles cela n’a pas été naturel et on porte encore la trace de ce qu’elles ont subi. »

Mercedes Erra, fondatrice de BETC, première agence française de publicité, confirme: « Il n’y a pas si longtemps que cela, le fait d’être traitées différemment apparaissait aux femmes de manière criante. Aujourd’hui, il y a une sorte d’hypocrisie. Tout le monde dit : « Bah non il n’y a pas d’enjeu, tout est possible » alors qu’en fait, les stéréotypes et leurs conséquences sont bel et bien là et très durs à faire évoluer. »

Vers une redéfinition de l’ambition ? 

Mais pour la jeune génération, la question qui se pose n’est parfois pas tant celle de l’accès des femmes aux postes à responsabilités mais des conditions pour y parvenir, comme le souligne Emmanuelle Duez, 28 ans, diplômée de l’Essec et Sciences Po Paris, mais surtout fondatrice de WoMen’Up, association œuvrant pour une plus grande mixité des membres de la génération Y dans le monde du travail.

« Aujourd’hui, lorsqu’une jeune femme de 23 ans lève les yeux dans une entreprise, elle a beaucoup de mal à trouver des rôles-modèles : des femmes qui ont su rester femmes, épanouies, bien dans leurs baskets, bienveillantes à l’égard de la jeune génération. On a beaucoup de verbatim tels que “les femmes aux postes de direction dans ma société, quand il y en a, ont adopté des codes masculins. Moi, je ne veux pas de ça. » », explique-t-elle. « A mon sens, s’il y a un sujet féminin, c’est la recherche de rôles modèles dans l’équilibre. »

Une vision que comprend Céline Laurenceau, responsable de l’activité conseil en gestion des talents d’Accenture France : « Je pense qu’il y a une génération de femmes ayant absolument voulu une carrière. Du coup, on a essayé d’oublier les contraintes personnelles, de les cacher, les compenser. »

Et cette femme, occupant un poste à responsabilités et mère de trois enfants ,de souligner qu’il incombe aussi aux entreprises d’œuvrer pour une meilleure prise en charge des contraintes familiales : « Une mesure a beaucoup fait bouger les choses ici, il s’agit de la mise en place d’un accord télétravail : l’ensemble des collaborateurs à tous les niveaux peuvent travailler jusqu’à trois jours par semaine chez eux. Toute réunion peut se faire physiquement, en étant doublée d’une conférence téléphonique. Tout le monde s’y est engouffré, hommes comme femmes ! »

Un début de mutation qu’a également observé Dominique Lévy-Saragossi à travers différentes études de son institut : « La nature de l’ambition en France est en train de changer avec la découverte de nouvelles formes de travail mais également avec la crise. De nombreux diplômés ne sont pas dans la même ambition économique que ne l’étaient des profils comparables il y a quelques années. »

La crise, un élément crucial dans l’évolution de l’ambition pour Emmanuelle Duez, fondatrice de Wo’Men Up : « Il y a une remise en cause du modèle de l’ambition de nos parents. Les jeunes se disent : « Je ne vais pas tout sacrifier pour une entreprise et me faire remercier après des années de bons et loyaux services. » Toute une génération est en train de reconsidérer son rapport à l’entreprise. Le sens devient la clé de voûte de la réussite professionnelle. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’un certain nombre de diplômés des grandes écoles postulent dans des start-ups ou dans l’associatif.»

Une quête de sens que confirme la directrice générale d’IPSOS France : « Ce n’est pas homogène mais tout le monde a envie de vivre mieux, d’avoir un travail qui serve à quelque chose, dans lequel éventuellement on s’amuse. Il y a toute une sphère de population dont l’ambition est de plus en plus mixte, plus centrée sur un équilibre personnel faisant une part plus importante à la famille. »  

Une vision au fondement de WoMen’Up rappelle Emmanuelle Duez : « La génération Y va peut-être faire bouger les choses en matière de relations hommes-femmes. Aujourd’hui, de nombreux jeunes hommes de 25 ans aspirent à un équilibre des rythmes de vie. En cela, ils constituent un levier pour la condition des femmes. » Une vision très optimiste, certes, mais qui sonne comme un espoir dans un pays où, en 2014, la différence de salaire entre un homme et une femme à poste égal est encore de l’ordre de 10%… 

 

@clairebauchart

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