Entreprendre à 15 ans : le pari gagnant de Philippine Dolbeau

Philippine Dolbeau

À seulement 25 ans, Philippine Dolbeau a déjà traversé plusieurs vies. Entrepreneure à 15 ans, fondatrice de New School, passée par l’Élysée, désormais animatrice et consultante, elle incarne une jeunesse audacieuse qui casse les codes et interroge notre rapport à la réussite. Dans son livre Jeunes et inspiré.es (Ed. Dunod), elle partage son parcours fulgurant, ses blessures, mais aussi ses espoirs. Une histoire de déclic, de résilience et de convictions profondes, où l’éducation et l’audace tiennent les premiers rôles. Rencontre avec une femme engagée qui croit dur comme fer que l’entrepreneuriat peut (et doit) commencer tôt — et surtout, avec du sens.

L’entrepreneuriat pour réaliser nos rêves, c’est le sous-titre de votre livre “Jeunes et inspiré.es“. Vous aviez envie de démontrer que l’entrepreneuriat n’est pas une question d’âge, mais d’audace ?

Philippine Dolbeau : J’en suis convaincue. C’est ce qui m’est arrivé. J’ai eu la chance de rencontrer, en classe de seconde, une prof qui a changé ma vie. Je me rends compte aujourd’hui que le déclic, ce n’est pas une question d’âge, mais d’envie et d’audace. Et puis, c’est aussi un âge où on n’a rien à perdre. À 15-16 ans, on vit souvent encore chez ses parents, on n’a pas d’emprunt, pas d’enfant, pas de loyer… Le risque est minime. C’est un terrain idéal pour tester, oser, apprendre.

Finalement, l’adolescence serait le meilleur âge pour entreprendre ?

Philippine Dolbeau : Peut-être. Je n’ai que 25 ans, donc je vous dirai dans 25 ans s’il y a un âge encore mieux ! Mais ce que je peux dire, c’est que l’adolescence est un moment de construction, et la médiatisation à ce moment-là peut être violente. Être exposée jeune, c’est difficile : les différences sont très visibles à cet âge, et pas toujours bien acceptées.

Mini Guide Entrepreneuriat

À l’adolescence, on cherche du sens… Et vous, vous l’avez trouvé dans l’entrepreneuriat ?

Philippine Dolbeau : Complètement. C’était une période très difficile pour moi : décès familial, maladie, gros flou sur mon avenir… J’étais paumée. Et puis, il y a eu cette prof d’économie et ce projet de développement d’entreprise. Et avant ça, mon séjour en Angleterre. Là-bas, j’ai découvert une autre pédagogie : on valorise l’essai, la collaboration, l’autonomie.

En revenant en France, le contraste m’a frappée. En Angleterre, on me disait tout ce que j’avais le droit de faire. En France, c’était tout ce que je n’avais pas le droit. Ça m’a marquée. Ce choc éducatif m’a poussée à agir.

Parlons de New School. À la base, c’était un projet éducatif assez simple, non ?

Philippine Dolbeau : Oui, à l’origine, je voulais juste digitaliser le cahier d’appel. En 2015, 99 % des classes utilisaient encore des versions papier. C’était lent, peu fiable, pas sécurisé. Ce qui m’a fait réagir, c’est un reportage sur un petit garçon oublié dans un bus scolaire. S’il y avait eu un appel numérique, il aurait été sauvé plus tôt. Ça m’a paru dingue qu’à l’heure des smartphones, on en soit encore là. Mon idée, c’était de faire gagner du temps, sécuriser, moderniser.

Puis les attentats de novembre 2015 changent tout. Et votre premier client, c’est votre propre lycée.

Philippine Dolbeau : Oui. Mon lycée reçoit des menaces. La sécurité devient une priorité. Ma cheffe d’établissement m’appelle et me dit : “Ton appli, elle peut peut-être nous aider.” C’est là que tout a basculé. Le projet a pris une autre ampleur. Il ne s’agissait plus juste de digitaliser l’appel, mais de contribuer à la sécurité des élèves et du personnel.

Ensuite, j’ai pitché devant d’autres écoles. Certaines ont mis du temps à devenir clientes, mais elles sont revenues plus tard. Et pendant ce temps, il y a eu la médiatisation. Très rapide. Très inattendue.

Cette médiatisation, c’est vous qui l’avez encouragée en osant contacter BFM Business ?

Philippine Dolbeau : En fait, j’étais très timide à l’époque. Parler en public était une angoisse. Mais un jour, mon cousin me dit : “Tu veux un avis sur ton projet ? Contacte un journaliste.” Je suis tombée sur Stéphane Soumier, rédacteur en chef à BFM Business. Je lui écris, sans aucune attente. Il me répond : “Vous êtes tombée sur moi, et moi, je vais laisser la France juger.” Et là, tout s’est enchaîné. J’ai 16 ans, je passe à la télé. Et le regard des autres change… brutalement.

Vous parlez dans le livre d’un harcèlement très violent, y compris de la part d’un enseignant. Qu’est-ce qui vous a permis de tenir ?

Philippine Dolbeau : Oui, ça a été extrêmement dur. Du jour au lendemain, j’ai perdu presque tous mes amis. Je suis passée de lycéenne “normale” à “fille qui passe à la télé“. J’ai reçu des insultes, des menaces, même à mon domicile. Jusqu’à des menaces de mort et de viol. Et tout ça, parce que j’étais une jeune fille en jupe à 16 ans sur TF1. C’est d’une violence inouïe. Et le pire, c’est que j’ai aussi été harcelée par ma prof d’anglais. La jalousie rend certains adultes fous.

Mes parents, sans hésiter, m’ont permis de tenir. Ils m’ont soutenue, protégée et m’ont poussé à continuer à aller en cours. Cela m’a permis de garder les pieds sur terre, de rencontrer d’autres personnes, de me reconstruire. Mais clairement, ce que j’ai vécu prouve qu’on ne prépare pas les jeunes à la médiatisation. Et encore moins les filles.

Dans votre livre, vous questionnez notre rapport à la réussite. En France, on aurait encore du mal avec le succès ?

Jeunes et inspirées - L'entrepreneuriat pour réaliser nos rêves - Philippine Dolbeau (Ed. Dunod)
Jeunes et inspirées – L’entrepreneuriat pour réaliser nos rêves – Philippine Dolbeau (Ed. Dunod)

Philippine Dolbeau : Oui, c’est une vraie question de fond. En France, on aime les grandes figures du passé. On les célèbre dans les livres, les programmes scolaires, c’est très ancré. Mais quand il s’agit des réussites contemporaines, c’est autre chose. On attend toujours plus, on doute, on critique. J’ai souvent ressenti qu’on avait du mal à se réjouir du succès des autres, comme si le bonheur des uns gênait un peu les autres.

Vous avez d’ailleurs quitté la France à 18 ans pour poursuivre vos études en Angleterre. Pourquoi ce besoin de partir ?

Philippine Dolbeau : C’était à la fois un besoin de me reconstruire, après une période médiatique très intense et parfois violente, et une envie de découvrir un autre regard sur la réussite. Là-bas, j’ai découvert un rapport très sain à la différence. On vous encourage à être qui vous êtes, même si c’est hors norme. J’étais étonnée de voir, un samedi matin, des gens en pyjama ou déguisés faire leurs courses sans que personne ne les juge. Cette liberté m’a beaucoup marquée. Et même quand les gens ont su qui j’étais, ce que j’avais accompli, les retours ont été bienveillants, curieux, jamais condescendants.

Avez-vous senti que les choses évoluent en France sur ces sujets de réussite au féminin notamment ?

Beaucoup a changé en dix ans. Aujourd’hui, il existe des programmes, des incubateurs, des financements pour les jeunes et les femmes entrepreneures. Il y a même des banques qui se spécialisent sur ces profils, c’est dire ! Médiatiquement aussi, c’est beaucoup plus visible. On parle davantage des femmes qui entreprennent, qui prennent des risques. Et c’est tant mieux car je me souviens de mon tout premier oral pour décrocher un prêt bancaire. J’avais 17 ans. En face de moi, une douzaine d’hommes de plus de 60 ans. À la fin, le directeur me dit : “On va vous accorder ce prêt, mais surtout parce qu’on a besoin de jeunes femmes dans nos statistiques.” C’est dur à entendre. Aujourd’hui, je pense qu’on est sortis de ce schéma. Mais il reste des blocages, surtout autour de la différence.

C’est un sujet qui vous tient à cœur…

Oui, qu’elle soit physique, culturelle, de parcours ou de maturité… la différence reste difficile à accueillir pleinement. Des initiatives comme Café Joyeux ou des médias comme Le Média Positif montrent pourtant qu’on peut faire autrement, valoriser ces différences. Mais à mes yeux, tout commence à l’école. Tant qu’on ne changera pas la manière dont on éduque, dont on valorise la singularité dès le plus jeune âge, on avancera à petits pas.

Vous évoquez souvent l’éducation comme le fil rouge de votre parcours. Qu’est-ce qui doit changer, selon vous, dans l’école française ?

Philippine Dolbeau : La liste est longue, mais s’il y a une chose que j’aimerais voir évoluer, c’est notre rapport à l’erreur. En France, dès qu’on échoue, on est catalogué. Les jeunes finissent par se mettre eux-mêmes dans des cases. J’ai vu beaucoup de jeunes filles se détourner des maths par peur d’échouer. En Angleterre, ce que j’ai expérimenté, c’est exactement l’inverse : on valorise l’apprentissage par l’erreur.

J’ai suivi un cours d’économie là-bas, sans notes, sans jugements. On travaillait en collaboration avec des enseignants de plusieurs générations. Et surtout, on créait des projets qui nous faisaient kiffer. L’école devenait un terrain d’expérimentation, pas un lieu de sanction.

Un modèle très anglo-saxon…

Philippine Dolbeau : Oui, mais qui fonctionne. Là-bas, ils intègrent des cours d’entrepreneuriat dès le CE1 ! Ils appellent ça les Dragon’s Dens , et cultivent les fameuses soft skills – collaboration, empathie, créativité… Des choses qu’on néglige en France alors qu’elles sont essentielles dans la vie réelle. En Finlande ou au Danemark, les enfants apprennent aussi en forêt, même quand il fait -12°. On leur enseigne la résilience, la débrouillardise. Lorsque j’ai été quelques mois en école anglaise à l’adolescence, j’y ai appris à coudre, à cuisiner, à faire confiance en mes capacités. 50 % de mon temps scolaire là-bas était dédié au jeu. Et pourtant, c’était considéré comme du temps d’apprentissage à part entière.

Après la revente de New School, vous avez fait un virage inattendu : direction l’Élysée en tant qu’attachée de Presse et de communication…

Philippine Dolbeau : Oui, un vrai saut dans le vide. Je n’avais aucune formation en communication, seulement ma propre expérience de prise de parole. Et là, on me confie celle du Président de la République. À 20 ans, j’étais à la fois honorée et terrifiée. On m’a dit : « Si tu sais le faire pour toi, tu sauras le faire pour lui. »

J’ai beaucoup appris, notamment pendant la crise du Covid. Mais c’était un environnement très rigide, très hiérarchique. Je n’y ai tenu qu’un an. L’entrepreneuriat me manquait trop, cette liberté d’agir, d’innover.

Aujourd’hui, vous avez retrouvé cette liberté ?

Philippine Dolbeau : Complètement. Je présente plusieurs émissions (L’École du Futur, BFM Academy, BFM Climat) et j’ai lancé une activité de conseil avec une associée. On accompagne les entreprises sur l’intergénérationnel, le leadership, le sens au travail… Parce que les salariés de demain, ce sont les élèves d’aujourd’hui.

On a trop longtemps fait de la com’ pour faire de la com’. Aujourd’hui, les jeunes veulent de l’authenticité, de l’impact. Un jeune n’hésite plus à quitter une entreprise si ses valeurs ne sont pas alignées. Les boîtes doivent s’adapter, et nous, on les aide à faire ce virage.

Avec le recul, est-ce qu’il y a des choses que vous feriez différemment ?

Philippine Dolbeau : Oh oui. J’ai souvent dit oui à des projets qu’on me proposait, sans vraiment les choisir. J’ai fait des erreurs de casting, travaillé avec des personnes mal intentionnées. J’ai été utilisée, épuisée.

Je n’ai jamais vraiment cherché un job, les opportunités sont venues à moi, mais ça m’a aussi empêchée de me demander ce que je voulais vraiment. J’ai suivi toutes les “voitures rouges” qui passaient, c’est à dire les opportunités, comme je l’écris dans mon livre. Résultat : je me suis perdue.

Si je devais recommencer, je m’entourerais mieux, plus tôt. Je poserais plus de questions. Et surtout, je me reconnecterais à mes valeurs profondes. Mais bon… tous ces échecs ont aussi fait ce que je suis aujourd’hui.

Une dernière chose à retenir ?

Philippine Dolbeau : On n’apprend jamais rien de ses réussites. On apprend en tombant. Et ça, je l’ai expérimenté plus d’une fois. Donc oui, je crois qu’il faut accepter de se tromper, encore et encore, si on veut trouver sa voie.

Propos recueillis par Véronique Forge Karibian

0
    0
    Votre panier
    Votre panier est vide