Rencontre avec Valérie Rocoplan

Valérie Rocoplan

Le leadership féminin n’a jamais été aussi à la mode, c’est pourquoi nous voulions interroger la spécialiste du sujet, Valérie Rocoplan, Fondatrice de Talentis, une entreprise de coaching qui conseille notamment les entreprises du CAC 40 et forme les managers femmes à exercer leur leadership.

Comment est né Talentis?

C’est une histoire de rencontres. J’étais Coach depuis 5-6 ans dans différents cabinets quand deux « business angels », deux hommes, sont venus me voir et me demander si je ne voulais pas créer ma société. Ils trouvaient que j’avais une vraie façon de voir le coaching et une vraie légitimité auprès de grands groupes. L’aventure de l’entreprenariat ne m’avait pas effleurée l’esprit et donc en bonne fille, je me suis demandé si j’étais capable de créer une entreprise. Ce sont donc eux qui ont monté la société tandis que moi, j’ai continué à faire du coaching. Un an après, ils m’ont revendu leurs parts. Aujourd’hui, je suis à la fois, Chef d’entreprise et coach. Les deux m’intéressent beaucoup car j’ai autant appris en étant chef d’entreprise qu’en étant coach. Nous fêtons cette année nos dix ans.

Quelle est votre définition du coach?

Chez Talentis, nous avons une définition qui est un peu spécifique: Nous sommes des partenaires de l’accompagnement de la réussite, de la personne, au service de la performance de l’organisation. Nous sommes finalement très proches du coach sportif. Nous sommes là pour entraîner le manager ou le dirigeant dans sa capacité à être le leader le plus adéquate à la situation qu’il rencontre, qu’il s’agisse d’une transition vers une nouvelle fonction, d’une équipe dans laquelle il a besoin de redynamiser la performance collective ou qu’il s’agisse d’un accompagnement de changement lourd.

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Comment se passe les séances ?

Nous voyons nos clients soit dans les bureaux de Talentis soit dans leur entreprise en situation en train d’interagir avec leurs équipes. Notre objectif est de leur renvoyer en miroir ce qui est efficace et moins efficace et travailler avec eux la connaissance d’eux mêmes, de leur relation aux autres et leur transmettre quelques savoirs dont ils ont besoin pour développer leur leadership.

L’un de vos sujets de prédilection, c’est aussi le Leadership féminin, vous êtes l’auteur de “Osez être la Chef”, les femmes ont-elles plus besoin d’être coachée?

C’est la fameuse question du plafond de verre. Quand on regarde les chiffres, les entreprises recrutent 38% de femmes en moyenne mais à la fin, elles sont plus que 10% voir 0% au top niveau. Sont elles incompétentes ou désintéressées par les lieux de pouvoir ? Il y a dans les faits un double mouvement: une culture peu favorable à l’autorité au féminin ou le leadership au féminin et des stéréotypes très prégnants du type chef=homme, leader=homme.

Mais est ce que les femmes n’intègrent-elles pas elles-mêmes ces stéréotypes ?

Oui, c’est vrai ces stéréotypes ont un impact sur les hommes et les femmes. Elles s’auto-censurent très souvent. Un exemple, les femmes investissent peu tous les champs professionnels, elles se limitent à certaines filières, 11 filières sur 80 pour 80% d’entres-elles. Elles achètent les stéréotypes pour la plupart d’entre elles. Les femmes ont beaucoup de préjugés sur elles-mêmes qui sont difficiles à déconstruire. Un de mes sujets, c’est justement de déconstruire, ces stéréotypes. Dans l’entreprise, tous ces stéréotypes ont des impacts car les femmes se disent par exemple : Est ce que j’ai vraiment envie d’être chef, est ce que c’est possible d’être chef en étant une femme ?

La question est finalement: Est ce que je peux rester femme tout en étant chef, car prenons l’exemple d’Anne Lauvergeon, elle est féminine mais elle a aussi un côté masculin, cela ne l’a t-il pas aidé ?

Oui, nous avons tous une forte polarité masculine et féminine, la question est : en tant que femme quand j’investie des lieux de pouvoir, dois je faire ressortir ma polarité masculine, au sens être combative, être compétitive ou non ? Nous passons beaucoup de temps à muscler la polarité masculine des femmes tout en leur disant gardez votre polarité féminine. Nous disons également aux hommes de développer leur polarité féminine en travaillant sur leur capacité d’écoute, de sensibilité. Les meilleurs leaders sont ceux qui ont ces deux polarités assez équilibrées.

Quels sont les points spécifiques que vous abordez avec les femmes ?

Cela part d’abord de leurs demandes, un coaching, c’est d’abord quelqu’un qui vient avec une demande. Il y a trois choses plus spécifiquement féminines :
Le complexe de la « chic fille » consciencieuse. C’est en général en tout au début de la carrière, le piège de « je veux être parfaite, je veux être une bonne mère, une bonne manageuse » mais du coup à force de vouloir être parfaite partout, ces femmes ont une difficulté à prioriser, choisir leurs combats, fermer leur porte, privilégier des temps pour elle. Ce type de femme veut aussi être aimée mais ce qu’on leur explique, c’est qu’être aimée n’est pas une fin en soi.

Nous travaillons également sur la notion d’ambition. Pour certaines femmes, c’est un gros mot d’être ambitieuse. Toutes les études montrent qu’ambition associée à Homme c’est positif mais associé à une femme, c’est tout de suite carriériste, arrogant, faux homme. C’est vrai qu’elles n’y sont pour rien, c’est social mais l’idée est de se réapproprier l’autorisation d’être ambitieuse au sens positif du terme, c’est à dire me fixer des objectifs « challengeants », y arriver pas à pas et osez dire aux autres “j’ai de l’ambition”.

Comment arrive-t-on à transformer cette image négative de l’ambition au féminin ?

On y arrive avec le sourire… Une ambition doit être affichée calmement et on doit être fière de son projet. Je pense aussi que nous avons aussi besoin de plus rôles modèles, de femmes qui assument leurs ambitions.

Comment fait-on pour changer le regard dans l’entreprise car une femme ambitieuse dans l’entreprise, cela peut être aussi mal vu ?

Beaucoup moins qu’on l’imagine car il y a beaucoup de malentendus. Quand on travaille avec les DRH notamment, nous leur disons que ce n’est pas parce qu’une femme ne demande pas qu’elle n’est pas ambitieuse. Les femmes ont une autre manière d’exprimer leurs ambitions, elles ne le disent pas mais s’évertuent à être les meilleures. Donc certains patrons commencent à comprendre maintenant qu’il faut aller chercher ces talents féminins et vaincre cette barrière qu’elles ont parfois en se disant qu’elles n’ont pas toutes les compétences pour le job.
Par ailleurs, nous coachons les femmes et leur disons qu’elles peuvent prendre une nouvelle fonction même si elles n’ont pas toutes les compétences car les hommes eux peuvent avoir seulement 40% des compétences et prendre le fonction alors que les femmes vont attendre d’avoir 80% des compétences.

Plus globalement, quels sont les freins majeurs dans l’évolution de la carrière d’une femme ?

Les freins majeurs sont inconscients, ce sont les préjugés et les stéréotypes. Au moment, ou on prend une décision sur une promotion, vous avez le CV d’un homme et d’une femme, à compétence égale, inconsciemment la décision sera prise sur des gens qui nous ressemblent donc des hommes. L’entreprise est encore peu ouverte à la différence. Quand je parle avec des comités de direction ou des COMEX, ils sont tous à dire que c’est confortable d’être entre soi. Il faut changer cela!
Le second frein, c’est l’association du mot Autorité au mot femme. C’est très difficile aujourd’hui quand on est une femme, d’être perçue positivement. Nous essaiyons donc de faire ressortir des rôles modèles. En ce moment, c’est Christine Lagarde avant c’était Simone Veil. L’autorité au masculin en revanche coule de source dans l’imaginaire collectif. Nous disons donc aux femmes quand nous travaillons sur ces questions d’Autorité, assumez votre part de différence, faites en un levier.

Vous avez cité Christine Lagarde, pourquoi est ce une Autorité féminine acceptée ?

Elle est tranquille, ne joue pas la “sur-autorité” et a une expertise et une reconnaissance internationale dont elle s’est servie, elle a notamment dirigé le cabinet d’avocats Baker Mc Kenzie. Par ailleurs, dans sa façon d’être, elle alterne entre expertise et autorité naturelle. Elle ne surjoue pas tout en assumant sa féminité: elle est en jupe, met de très beaux bijoux. Elle assume le fait de ne pas vouloir incarner des modèles qui ne seraient pas les siens.

En 10 ans de coaching avec Talentis, comment jugez vous l’évolution des carrières féminines ?

Il a cinq ans que nous travaillons sur le sujet et je dirai que l’évolution est très lente. Nous avons encore cinq ans devant nous. Si en dix ans il ne s’est rien passé le système va se refermer sur lui même. Les patrons diront « nous avons mis beaucoup d’argent, nous avons mené beaucoup d’actions mais il ne s’est rien passé, ce sont elles qui ne veulent pas ! ». Je le dis aujourd’hui aux femmes, il y a une opportunité énorme, nous n’avons jamais autant parlé d’égalité professionnnelle. Le gouvernement s’est également engagé sur la question ainsi que Viviane Reding, au niveau européen. Les opportunités sont là, il faut les saisir maintenant!

www.talentis-coach.com
Son livre:
Osez être la chef ed Leduc

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