Pierre Kosciusko-Morizet : entrepreneur à tout “Price”

Pierre Kosciusko-Morizet
2001. La bulle Internet a explosé, sans atteindre la détermination de Pierre Kosciusko-Morizet. Le jeune homme lance PriceMinister. Les débuts sont houleux, presque fatals. Pourtant, en 2010, il cède son site d’e-commerce pour 200 millions d’euros. Discussion entrepreneuriale avec PKM.

2001. La bulle Internet a explosé mais sans atteindre la détermination de Pierre Kosciusko-Morizet. Le jeune homme lance PriceMinister. Les débuts sont houleux, presque fatals. Pourtant, quelques années plus tard, en 2010, il cède son site d’e-commerce pour 200 millions d’euros, tout en restant dirigeant de Rakuten, leader du secteur au Japon. Discussion entrepreneuriale avec PKM.

En 1999, alors que vous travaillez aux Etats-Unis pour le compte de Capital One, entreprise spécialisée dans la distribution de crédits à la consommation via le Web, vous démissionnez pour créer PriceMinister. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre ce risque ?

Pierre Kosciusko-Morizet : Je n’ai jamais raisonné en termes de risques, mais toujours selon mes envies et mes instincts. A mon sens, le seul vrai risque dans la vie est de s’ennuyer. Pour un entrepreneur, c’est de se démotiver et de rater ainsi sa création d’entreprise. Cela dit, il faut être réaliste. J’ai eu la chance de faire HEC. Lorsque l’on sort de cette école à 23 ans, on trouve du travail. En démissionnant, je ne considérais donc pas prendre un risque car je savais pertinemment qu’il me serait possible de retrouver un emploi ultérieurement. J’ai investi de l’argent obtenu via un prêt étudiant. Je savais très bien au fond de moi que le risque financier était limité car j’aurais pu rembourser cet emprunt en étant salarié.

L’idée de PriceMinister vous vient en surfant sur le site américain Half.com, centré sur l’achat et la vente de produits culturels d’occasion. Pourquoi avez-vous souhaité adapter ce concept en France ?

Pierre Kosciusko-Morizet : J’ai d’abord eu recours à Half.com en tant que client. J’ai immédiatement trouvé ce site génial. Je me suis ensuite mis à l’utiliser comme vendeur. Puis assez vite, je me suis rendu compte que même sur un livre à 5 dollars, la plateforme gagnait de l’argent. Généralement, cela est impossible sur les petits objets à cause du coût de la logistique. Mais dans ce cas précis, on est sur une classe de marché où le vendeur envoie lui-même le produit. Du coup, la marge est positive y compris sur les articles minimes. C’est cela qui m’a convaincu de lancer le business.

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PriceMinister.com est lancé en janvier 2001. Le site évite de peu le dépôt de bilan six mois plus tard, pour finalement redémarrer. Enchaîner les déconvenues et les succès, est-ce le quotidien de tout entrepreneur ?

Pierre Kosciusko-Morizet : C’est même ce qui fait le piment de l’aventure, l’adrénaline ! Le début de la vie d’une entreprise est très ténu. On est sur un fil. Chaque événement est une menace. Il y a beaucoup de moments inquiétants mais en même temps très intenses.

Concernant PriceMinister, l’aventure a effectivement failli s’arrêter début 2001. On ne payait plus le loyer, on ne payait plus les salaires, on ne payait plus rien. Puis finalement, nous avons levé des fonds en juin de la même année. Nous n’avons jamais plus eu aussi peur par la suite, même s’il y a eu d’autres moments compliqués.

Avant de vous lancer dans l’aventure PriceMinister, vous montez en 1998 une première entreprise, Visualis. Cette société de conseil en distribution ne durera finalement que neuf mois. Quelles leçons avez-vous tirées de cet échec ?

Pierre Kosciusko-Morizet : Avec Visualis, j’avais commis quelques erreurs très claires, mais il y avait eu aussi un certain nombre de causes exogènes. J’étais ainsi ressorti de cette expérience avec la ferme volonté de récréer une entreprise. En même temps, j’en avais tiré deux conclusions personnelles. La première étant que je n’étais pas un entrepreneur solitaire. Or, j’avais été seul tout au long de l’aventure Visualis. Je me suis ainsi dit que lorsque je remonterais une société, ce serait avec des associés. Puis, deuxième chose, j’ai réalisé qu’il me faudrait à l’avenir multiplier les fournisseurs. En l’occurrence, avec Visualis, cela s’était mal passé avec l’un d’entre eux, et c’est ce qui avait provoqué mon échec. A partir de là, hors de question de dépendre d’un gros fournisseur ou d’un gros client. Ma prochaine entreprise serait indépendante, autonome. PriceMinister s’inscrit directement dans cette veine : on a des millions de vendeurs et d’acheteurs. On ne dépend pas uniquement de quelques entités.

L’échec est-il la clé de la réussite pour vous ?

Pierre Kosciusko-Morizet : Je pense que l’on apprend autant de ses échecs que de ses réussites. Un entrepreneur doit rester humble tout en étant ambitieux. Un échec ne doit pas nous abattre mais il faut en tirer les leçons. Chaque déconvenue, chaque succès doit nous apprendre quelque chose, c’est ce qui nous fait progresser.

Un entrepreneur doit-il admettre l’échec comme partie intégrante de son parcours ?

Pierre Kosciusko-Morizet : Le propre d’un entrepreneur est de lancer régulièrement des tas de projets. Dans le lot, il y en a forcément qui échouent. A mes yeux, le but n’est pas de ne pas échouer, mais de réussir souvent. Il vaut mieux monter dix projets et n’en réussir que trois que de n’en lancer qu’un qui sera un succès. En même temps, chacun est différent. Pour ma part, je n’ai pas créé tant de sociétés que cela. Je n’ai pas une idée à la seconde. Par contre, lorsque j’ai un concept, je le creuse jusqu’au bout. Je préfère approfondir, aller au bout des choses.

Quelles sont les règles d’or à suivre pour créer son entreprise ?

Pierre Kosciusko-Morizet : Il faut tenter de bien s’entourer : avoir de bons associés, de bons investisseurs, de bons conseils. Puis, c’est une évidence, mais un entrepreneur doit avoir toujours son client en tête. Il doit travailler son produit au mieux afin de séduire le plus possible. Enfin, il faut faire évoluer son offre en permanence.

Faut-il être “kamikaze” pour créer une entreprise en période de crise ?

Pierre Kosciusko-Morizet : J’ai monté PriceMinister juste après l’éclatement de la bulle Internet. C’était le même genre d’époque qu’aujourd’hui, voire pire. Mais je pense que ce sont de très bonnes périodes pour créer des entreprises car il y a moins de concurrence. Sans oublier qu’une entreprise dure longtemps. Ainsi, démarrer en bas de cycle peut signifier que la grosse croissance aura lieu en cycle haut. Les créateurs d’entreprises ne doivent pas s’inquiéter de la crise. Ce n’est pas un problème.

Certains entrepreneurs dénoncent une fiscalité trop lourde en France. Partagez-vous leur point de vue ?

Pierre Kosciusko-Morizet : Ils ont en partie raison car oui, il y a trop de charges dans notre pays. L’environnement réglementaire ne pousse pas à la création d’entreprise. Tout cela est vrai. Mais lorsque l’on a la ferme volonté de monter une société, on se lance malgré tout. Il y a un an, sans le mouvement des pigeons (entrepreneurs mobilisés courant 2012 contre le projet de loi de finances pour 2013, NDLR), on aurait peutêtre eu une fiscalité qui, pour le coup, aurait été rédhibitoire. La France est l’un des Etats les plus taxés en Europe mais ce n’est pas non plus confiscatoire. Je pense que l’on reste un bon pays pour entreprendre.

L’échec est-il stigmatisé en France ?

Pierre Kosciusko-Morizet : En ce qui me concerne, après l’épisode Visualis, personne ne m’a collé une étiquette « échec » sur le front. Au contraire, les gens ont plutôt compris que j’en avais appris quelque chose, ils l’ont accepté et tout s’est bien passé. La plupart des actionnaires de ma première entreprise ont même investi dans la deuxième. Lorsque Visualis a fermé, je n’ai planté personne, j’ai payé toutes mes dettes. On va dire que j’ai tout fait de manière propre. Je pense que les Français vivent mal leur propre défaite. Ici, une personne qui échoue a tendance à battre sa coulpe. Ce n’est pas tant le problème des autres que celui du regard sur soi.

Parallèlement, en France, la réussite entrepreneuriale est-elle suffisamment mise en valeur ?

Pierre Kosciusko-Morizet : La réussite est valorisée par les gens. Par exemple, certaines personnes viennent me voir pour me dire que ce que je fais est génial. Peut-être que ceux qui n’approuvent pas mes activités ne me disent rien en même temps ! Globalement, je ne me sens pas persécuté.

Ceci étant dit, nous sommes dans un pays qui a un problème avec l’argent, avec le travail, et avec les deux réunis ! Je pense notamment que les médias comprennent mal l’entreprise et la réussite. Ils font des amalgames idiots entre quelqu’un qui gagne au loto, quelqu’un qui gagne de l’argent en travaillant, quelqu’un qui hérite.

En juin 2006, François Hollande avait dit sur France 2 : « Oui, je n’aime pas les riches, j’en conviens ». Avez-vous pris cette phrase comme un signal anti-entrepreneurial ?

Pierre Kosciusko-Morizet : J’ai pris cette déclaration comme une erreur. Il me semble que c’est le devoir des hommes politiques de ne pas rentrer là-dedans.

La baisse du coût du travail présentée par le chef de l’Etat au cours de sa conférence de presse du 14 janvier dernier passerait par “la fin des cotisations familiales versées par les employeurs d’ici 2017“. En contrepartie, François Hollande a réclamé des créations d’emplois. A vos yeux, est-ce une demande réaliste ?

Pierre Kosciusko-Morizet : Les entreprises créent des emplois lorsqu’elles ont besoin d’embaucher et qu’elles peuvent se le permettre. Un homme politique ne peut malheureusement pas apporter tout cela. Un président de la République qui demande aux entreprises de créer des emplois, c’est sympa, mais cela ne sert à rien ! C’est le but de toute société d’embaucher, mais cela n’est possible que lorsqu’elle a des moyens financiers et de la visibilité pour le faire ! Et lorsque les lois ne l’y empêchent pas…

L’homme politique n’a qu’à s’occuper de relancer l’économie, de mettre en place un droit du travail plus flexible, de proposer éventuellement des allégements de charges pour permettre plus d’investissements. Dans ce cas, il y aura des créations d’emplois. Mais demander aux entrepreneurs de créer des postes comme cela, c’est de l’incantation !

 

Claire Bauchart

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