Héloïse d’Ormesson : portrait d’une conquérante

Héloïse d'Ormesson : portrait d’une conquérante

A l’occasion du lancement de la collection “Les Reines du Suspense” aux éditions Héloïse d’Ormesson, retour sur la carrière pleine de succès de la fondatrice de la maison éponyme.

Héloïse d’Ormesson : portrait d’une conquérante

Un destin d’éditeur

Héloïse d’Ormesson est une amoureuse des mots et sait mesurer leur valeur. Il n’est pas rare qu’elle se reprenne pour exprimer de manière plus précise un propos, une idée. Elle aime ciseler ses phrases et ne se dévoile qu’avec pudeur. Etre la fille de Jean d’Ormesson, qui incarne à lui seul « l’esprit français », y est sans doute pour quelque chose… Ce nom, c’est « une force et un privilège », une « marque » qui ne l’a pourtant pas empêchée de tracer son propre chemin. En montant sa maison d’édition, il y a maintenant 10 ans, elle savait qu’elle recevrait un accueil bienveillant. Elle était du sérail, mais elle n’était pas dupe pour autant : « on m’attendait au tournant, il ne fallait pas décevoir. »

En une dizaine d’années, elle a donc tracé son sillon et su s’imposer avec ses découvertes, ses auteurs fétiches comme Dominique Dyens, Abha Dawesar, Emilie de Turckheim… et évidemment Tatiana de Rosnay, un des écrivains phares de la maison. Dès le début, elle a eu cette volonté de faire du « romanesque de qualité » et la rencontre avec Tatiana de Rosnay, qui s’inscrivait dans cette veine, fut déterminante pour asseoir l’identité de la maison : « Avec Tatiana, cela a été une rencontre magique car le livre, Elle s’appelait Sarah, était excellent. Il avait pourtant été refusé par d’autres maisons d’édition, mais il correspondait tout à fait au type de littérature que nous voulions développer. »

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Un coup de maître puisque le livre se hisse dès sa sortie en 2007, dans les classements des meilleures ventes en France et à l’international avec un succès qui ne se dément pas aujourd’hui. L’ambition de la maison n’a jamais été de faire des « coups » mais de travailler dans la durée avec ses auteurs. Dominique Dyens, l’une des plumes « maison », a fait ses débuts en littérature avec La Femme éclaboussée, un roman édité à l’époque chez Denoël par… Héloïse d’Ormesson, et réédité cette année dans la collection ” Les Reines du Suspense”. Tatiana de Rosnay, elle, n’a jamais quitté la « team » en dépit de ses succès éditoriaux : « Là, je crois qu’il y a eu la rencontre mais aussi une amitié, une confiance », note l’éditrice. Une grande famille, la clé du succès ?

La réussite de la « petite maison qui a tout d’une grande »

Quand on lui parle de « réussite », Héloïse d’Ormesson préfère pourtant prendre la tangente. Elle n’aime pas le terme ou « ne le dirait pas comme cela ». Il y a beaucoup de retenue dans le verbe chez celle qui a grandi au milieu des mots et qui n’aime rien tant que la discrétion. Mais dans un contexte économique morose, cette petite maison d’édition, qui publie une vingtaine de titres par an, ne connaît en tout cas pas la crise : « J’aime cette métaphore : quand on a une Ferrari dans un embouteillage, on n’avance pas, mais avec un petit vélo, on arrive à se faufiler. »

Cette bonne santé, elle la doit à sa capacité à se réajuster rapidement par rapport au marché mais aussi à son expérience du métier et à celle de  Gilles Cohen-Solal, avec qui elle s’est lancée dans l’aventure : « Nous avions tous les deux 20 ans d’expériences professionnelles dans ce domaine quand nous avons commencé. Nos deux talents conjugués expliquent un certain nombre de choses. » Le reste est à chercher dans la stratégie générale de la maison qui s’est appuyée dès le départ sur les libraires. Une approche visionnaire quand on sait aujourd’hui la perte d’influence des médias traditionnels dans les ventes de livres. Les émissions de Bernard Pivot, passage incontournable dans les années 80 et 90, sont bien loin…

Aujourd’hui, il faut déployer tous les outils marketing imaginables pour avoir une visibilité auprès du lecteur, devenu de plus en plus « zappeur ». Une pratique qu’elle a tout de suite adoptée pour tenter de défendre tous ses livres, sans exception. Ces réflexes « marketing », elle les tient notamment de son expérience de l’édition américaine où elle a fait ses premières armes. Un « cultural clash » dont elle se souvient bien : « ce qui m’a marquée à vie quand j’ai démarré aux Etats-Unis, c’est qu’il n’y avait pas de comité de lecture mais un comité éditorial, et que l’éditeur devait défendre ses choix devant le service de presse, le directeur commercial et le directeur artistique afin d’espérer publier ses auteurs. »

Une démarche qui semble aux antipodes de la culture française mais qu’elle défend désormais : « un éditeur doit réfléchir à la commercialisation de son livre car, aussi bon soit-il, s’il ne trouve pas ses lecteurs, il est mort-né. » Elle dresse d’ailleurs un constat sans appel : « Aujourd’hui, le lecteur est devenu un consommateur, il faut s’adapter à cette nouvelle donne. » Il est donc loin le temps des déambulations dans les librairies de quartier : « je me souviens, quand j’étais jeune, je flânais en librairie. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, c’est un comportement du XXe siècle, pas du XXIe. » A-t-elle des regrets, une nostalgie de cette époque ? « Non. C’est autre chose, il faut juste s’adapter. »

La suite est encore à écrire

S’adapter, évoluer, tels sont les leitmotivs de cette battante qui avoue ne pas avoir de stratégie à 10 ans mais reste pourtant convaincue que « le métier d’éditeur sera toujours de trouver de nouveaux textes et de nouveaux moyens de les défendre. » Elle jure même que tout cela l’amuse car, finalement, vivre une époque comme celle-ci représente « des défis mais aussi des promesses de réussite. » Quant à la fin du livre imprimé, elle n’y croit évidemment pas du tout : « le livre n’est pas mort », martèle-t-elle. « C’est une question culturelle.

Il n’y a qu’à regarder Israël, le pays des hautes technologies : les livres numériques ne prennent pas car c’est le pays du livre papier. » Malgré les incertitudes, Héloïse d’Ormesson affirme donc sa foi en l’avenir, et surtout un amour sans failles de son métier : « Ce qui est capital, c’est que nous continuons à nous amuser et à publier les textes que nous aimons. » Que peut-on lui souhaiter pour la suite ? « Trouver les best-sellers de demain reste mon ambition, c’est tout ce que je me souhaite. » Et nous aussi !

FOCUS

Le « suspense féminin » : naissance d’un nouveau genre ?

Les femmes se mettent au noir. La tendance n’est certes pas nouvelle, mais après les déferlantes anglo-saxonnes et nordiques avec des auteures comme Ruth Rendell, Camilla Läckberg ou encore Anna Holt, les Françaises ont elles aussi réussi à s’imposer dans ce genre. On pense évidemment à Fred Vargas ou Maud Tabachnik, mais elles sont aujourd’hui rejointes par une nouvelle garde qui flirte entre le roman noir et le roman psychologique.

Les éditions Héloïse d’Ormesson, qui publient depuis des années des auteures de cette veine comme Dominique Dyens, ont d’ailleurs décidé de leur dédier une collection : “Les Reines du Suspense”, une première dans le monde de l’édition française. « Cela faisait des années que je recevais des romans à suspense féminin mais je ne pouvais pas tous les publier », explique Héloïse d’Ormesson. Pourtant, le potentiel est là puisque des romancières comme Dominique Dyens ou Véronique Biefnot atteignent souvent 15 000 à 30 000 exemplaires vendus quand elles passent en poche ou en club.

les reines du suspense

Tentative de définition du suspense au féminin ?

La réponse n’est pas évidente, mais pour Héloïse d’Ormesson, il existe bel et bien : « tous les noms qui me viennent à l’esprit quand on parle de suspense psychologique sont des femmes. » La dimension psychologique de l’intrigue apparaît comment un élément clé pour définir ce genre. Dominique Dyens, auteure de La Femme éclaboussée, réédité chez Héloïse d’Ormesson début mai, tente une définition : « pour moi, le suspense féminin, c’est une intrigue policière souvent mêlée à l’histoire personnelle de l’héroïne, blessée par la vie et qui flirte parfois avec la folie. »

Dans ce suspense féminin, les failles psychologiques du personnage sont  clé et permettent au lecteur d’éprouver de l’empathie : « c’est quand on commence à s’attacher au personnage que le suspense prend une autre dimension », note Dominique Dyens. L’une des caractéristiques de ce genre est aussi de renouer avec le romanesque tout en s’inscrivant dans la lignée des auteures anglo-saxonnes comme Ruth Rendell ou Maggie O’Farrell, qui « décrivent à merveille la confusion des sentiments », explique encore t-elle. Des héroïnes féminines qui assument leurs contradictions et dévoilent des blessures qui sont souvent à l’origine de l’intrigue, telles sont sans doute les raisons du succès auprès des lectrices.

Femmes et roman à suspense : l’autre versant d’une conquête féministe? 

Des femmes qui s’attaquent au genre du roman noir, la chose n’est pas nouvelle, on pense à Agatha Christie, Dorothy L. Sayers ou encore Margery Allingham. Pourtant, Elizabeth Legros Chapuis, auteur de Des femmes dans le Noir (TheBookEdition), note dans La Revue des Ressources qu’on assiste à un « nouvel âge d’or » de la fiction criminelle depuis les années 70 et 80 avec l’émergence de romancières comme P. D. James, Ruth Rendell ou Patricia Cornwell. Elizabeth Legros Chapuis explique par ailleurs qu’à chaque époque, elles se sont inscrites dans un mouvement d’émancipation de la femme.

Les années 20-30 tout comme les années 70 ont en effet été marqué par des conquêtes féministes majeures. L’émergence aujourd’hui, de ces nouvelles romancières doit, sans doute, se comprendre à l’aune des nouvelles affirmations féministes. Kathleen Gregory Klein, auteure de Women Times Three et spécialiste du genre note d’ailleurs: “les femmes écrivains choisissent avec une prédominance écrasante le personnage de femme détective. Et, remarque t-elle, ces textes ont changé la formule, les conventions, la structure et l’impact de la fiction criminelle. »

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