Hapsatou Sy ou l’adrénaline du grand saut

Hapsatou Sy, 32 ans, compare volontiers l’entrepreneuriat à un saut en parachute, l’essentiel étant de rebondir.
Hapsatou Sy, 32 ans, compare volontiers l’entrepreneuriat à un saut en parachute, l’essentiel étant de rebondir. Discussion à bâtons rompus avec cette entrepreneuse dans l'âme !

Touchée mais pas coulée. Hapsatou Sy, 32 ans, compare volontiers l’entrepreneuriat à un saut en parachute. Son principe phare : l’essentiel est de rebondir. Ainsi, son entreprise de salons de beauté Ethnicia a beau avoir été placée en liquidation judiciaire en septembre 2013, la jeune femme, qui officie par ailleurs sur D8 aux côtés notamment de Laurence Ferrari et Roselyne Bachelot, ne se laisse pas abattre : elle a déjà créé une nouvelle société commercialisant shampoings, vernis et autres. Retour sur le parcours de cette entrepreneuse-née.

Pourquoi vous être lancée si vite, à 24 ans seulement, dans l’aventure entrepreneuriale ?

Hapsatou Sy : J’ai des parents qui ont été ouvriers, qui n’ont pas fait ce qu’ils voulaient, qui ne vivaient pas comme ils l’auraient souhaité, etc. Ceci dit, mon père a quitté son village sénégalais pour venir en France et offrir un avenir meilleur à ses enfants. A mes yeux, c’est une forme de liberté : celle de partir pour changer sa vie. C’est cela entreprendre, ce n’est pas forcément créer une société. Pour ma part, il me paraissait évident de suivre la même direction : celle de la liberté et de l’entrepreneuriat.

Est-ce compliqué d’obtenir la confiance de ses interlocuteurs lorsque l’on entreprend si jeune ?

Hapsatou Sy : On vous fait rarement confiance en règle générale ! Vos interlocuteurs, pour la plupart, n’ont pas la notion de ce qu’est l’entrepreneuriat et ne partagent pas votre envie. Cet effet est démultiplié lorsque vous êtes jeune ! Je me suis souvent entendu dire : « Va grandir, bois du lait, apprends et ensuite on verra. » D’ailleurs, lorsque j’ai lancé Ethnicia, je n’ai réussi à convaincre personne ! Les banques ne m’ont pas suivie. D’autre part, je n’avais pas de réseau, donc la notion d’investisseur ne me parlait pas. J’ai juste eu la chance d’avoir un copain qui a accepté de me prêter un petit peu d’argent pour démarrer mon aventure.

Votre envie d’entreprendre était telle que vous avez quitté un emploi salarié pour vous lancer !

Hapsatou Sy : Je n’avais pas envie de dépendre de qui que ce soit. J’étais donc déterminée à réaliser mon rêve. Aucun de mes proches n’était entrepreneur. Beaucoup n’ont d’ailleurs pas compris à l’époque pourquoi je quittais un emploi bien payé pour prendre des risques. Après mon BTS commerce international, j’ai travaillé à la Société Générale : le pire job de ma vie ! Il n’y avait pas de contact avec le client, aucune créativité. Mes collègues ne faisaient que de l’administratif. Cette expérience a été terrible pour moi. J’ai eu la chance d’être rappelée par l’entreprise Econocom où j’avais été en alternance au cours de mes études. Là, mon manager m’a laissé beaucoup de liberté. Malgré tout, un jour je me suis dit : « c’est le moment d’avoir mal au ventre. »

L’adversité vous galvanise-t-elle ?

Hapsatou Sy : J’aime les challenges, quand on me dit que ce n’est pas possible. Surtout, je pense que personne n’a à décider pour moi. C’est cela qui me galvanise. Si un jour on avait dit à mon père que sa fille ferait un dixième de ce que j’ai pu réaliser, il aurait dit : « n’importe quoi ! » Il a toujours été épaté que je sois capable de payer le loyer, l’électricité, etc. Cela prouve bien que rien n’est impossible.

Quelle doit être la part des nouvelles technologies chez les entrepreneurs de 2014 ?

Hapsatou Sy : C’est le langage de la nouvelle génération, on doit leur parler avec les outils qu’ils utilisent. Je suis très friande des réseaux sociaux : j’ai un blog, des comptes Twitter, Facebook, Instagram, Pinterest… Nous n’avons plus le choix aujourd’hui ! C’est d’ailleurs toute la difficulté des entreprises quelque peu vieillissantes : elles n’ont pas connu ce type de communication et ont parfois du mal à s’adapter.

En France, seulement 30% des entreprises sont créées par des femmes. Comment l’expliquez-vous ?

Hapsatou Sy : Les femmes ont leur part de responsabilité. Nous avons trop tendance à dire que « c’est la société qui est comme ça, les hommes ne nous permettent pas d’exister, etc. » A un moment donné, il faut arrêter de se plaindre et agir pour faire en sorte que les choses changent. Il est vrai néanmoins qu’il y a des exigences biologiques qui nous compliquent la tâche. Cependant, lorsque l’on choisit l’entrepreneuriat, on a la liberté d’aller au travail avec son enfant, personne ne peut vous en empêcher.

Avez-vous été confrontée à des remarques sexistes lorsque vous avez créé votre entreprise ?

Hapsatou Sy : J’ai eu droit à toutes les remarques possibles. Je suis femme, je suis noire, je viens d’un milieu modeste. J’ai tous « les handicaps » de la société dans laquelle nous vivons. Mais j’ai fait en sorte que cela ne m’embête jamais. Je pars du principe que notre différence est notre force. Après, tout dépend de nos compétences et de notre détermination.

Quelles doivent être les principales qualités d’une entrepreneure ?

Hapsatou Sy : Déterminée, persévérante et réaliste ! Lorsque l’on crée une boîte, on doit avoir conscience des risques. Cela peut avoir des conséquences sur votre vie personnelle. C’est une compétition digne d’un sportif de haut niveau. On peut perdre, on peut gagner : les deux nous apprennent des choses.

Il faut aussi être folle ! Les gens qui ont changé le monde étaient fous ! Steve Jobs était fou, Richard Branson l’est également. Mais on peut aussi l’être à un petit niveau : avoir par exemple la folle ambition de monter un commerce dans une rue. En gros, il faut avoir la folie de casser les codes, de faire abstraction de tout ce que vous pourrez entendre, de tous ceux qui vous diront « n’y va pas. »

Dans notre société, les gens ne prennent pas de risques. L’entrepreneur est un martien. Cela me hérisse le poil de constater que certains jeunes aujourd’hui rêvent d’être fonctionnaires pour bénéficier de la stabilité de l’emploi !

Ethnicia a mis la clé sous la porte en septembre dernier. Aujourd’hui, vous centrez votre activité sur le développement de quatre marques de produits cosmétiques et capillaires. Votre échec n’a donc en rien entravé votre envie d’entreprendre ?

Hapsatou Sy : Absolument pas ! D’ailleurs, à chaque fois que l’on m’en parle, j’évoque le saut en parachute. Au moment où vous mettez un pied dans l’avion, la montée d’adrénaline est incroyable. C’est la prise de risque : vous avez mal au ventre, vous vous dites que vous êtes folle. Puis vous sautez, avec une sensation de bien-être et d’apaisement extraordinaire lorsque le parachute s’ouvre. C’est un peu pareil avec l’aventure entrepreneuriale.

Ensuite, l’important c’est la chute : pour certains, c’est le crash au moment de l’échec. Mais ce qu’il faut bien intégrer est que tous les entrepreneurs qui ont réussi ont essuyé des échecs. L’essentiel est ce que l’on en fait ! Est-ce que l’on se crashe en se disant  « je ne me relève pas, je ne veux plus recommencer », ou est-ce qu’au contraire on touche le sol pour rebondir en douceur en pensant « j’ai échoué, ça fait un peu mal mais j’ai appris de tout ça et je repars » ? Lorsque j’ai touché le sol, j’ai eu envie de repartir tout de suite !

Avez-vous tiré des leçons de votre échec ?

Hapsatou Sy : Enormément ! J’ai appris à ne pas confondre assistanat et accompagnement. Quand on dirige une entreprise, on doit prendre en compte la dimension humaine, mais aussi le critère économique. On ne peut pas agir comme on le ferait à la tête d’une association. J’ai beaucoup aidé mes anciennes franchisées, investi beaucoup d’argent pour les soutenir. J’aurais dû les accompagner plutôt que de m’évertuer à les assister. Car lorsque vous êtes assistée justement, et que l’on vous lâche, vous cherchez un responsable à votre échec. Dans mon cas, la responsable, c’était forcément moi ! Désormais, je ne prendrai plus mes décisions sur une base émotive et complètement humaniste. Je tenterai de faire un bon mélange. J’ai également compris que tout ceci n’est que matériel. Ce qui compte à la fin, c’est la santé et l’humain.

L’échec fait-il partie intégrante du parcours de tout entrepreneur ?

Hapsatou Sy : Il est surtout indispensable car il n’y a que l’échec qui soit capable de vous enseigner certaines choses. Ce que j’ai intégré en 8 années avec Ethnicia, je ne l’aurais pas appris en 40 ans de carrière. Ceci dit, on ne vit pas dans le monde des Bisounours. Lorsque l’on met une société en liquidation, on doit répondre d’un certain nombre de choses. Les banques par exemple cherchent quelle est votre part de responsabilité, etc.

L’échec est souvent stigmatisé en France. Ne craignez-vous pas d’en pâtir ?

Hapsatou Sy : Je n’en souffre plus du tout aujourd’hui. Mais il est vrai qu’en France, beaucoup ont peur d’entreprendre car ils seront montrés du doigt en cas d’échec. Ce n’est pas du tout le cas aux Etats-Unis ou dans la culture anglo-saxonne. Dans ces pays, les recruteurs se disent « je veux embaucher cet ancien entrepreneur parce qu’il a acquis une expérience qu’un autre n’aura pas. »

A l’inverse, en France, la réussite d’un entrepreneur est-elle considérée avec un fond de suspicion ?

Hapsatou Sy : C’est pire que cela, il faut se cacher ! On n’aime pas la réussite en France. C’est aussi de la faute de nos dirigeants. Je pense notamment à François Hollande, qui a eu cette phrase : « Je n’aime pas les riches. » Cela signifie, en gros, « je n’aime pas les gens qui ont réussi ». On ne peut pas croire que cela n’a pas d’impact sur nos jeunes. A 20 ans, on a besoin de rêver. Parfois, je vais dans mon quartier d’enfance avec ma belle voiture et je fais passer le message qu’il est possible d’y arriver à la sueur de son front et non en vendant ou en faisant n’importe quoi. Donc, tout cela est vraiment dommage. Le rêve français n’existe plus pour moi aujourd’hui.

Avez-vous déjà eu envie de partir entreprendre aux Etats-Unis ou à Londres ?

Hapsatou Sy : J’adore la France parce qu’elle m’a donné ma chance : j’ai pu aller à l’école gratuitement, évoluer dans un contexte me permettant de me réaliser. Il serait donc malvenu de partir ! Ceci étant, le problème est que l’on n’a pas tellement le choix ! Quand vous créez une entreprise et que vous avez autant de charges, vous ne pouvez pas être compétitif par rapport aux autres pays.

La meilleure définition d’un entrepreneur, est-ce quelqu’un qui ne craint pas l’échec ?

Hapsatou Sy : Oui. C’est un sportif de haut niveau. Il sait qu’il perdra pas mal de fois avant de gagner.

Quels sont vos prochains projets ?

Hapsatou Sy : Je viens de lancer une nouvelle structure qui commercialise des cosmétiques issus de quatre marques : Hapsatou Sy, Dasia, Artisan Make Up et Ethnicia. Nous sommes présents chez une centaine de partenaires en France maintenant. Et nous sommes vendus aux Etats-Unis, au Gabon et au Sénégal. Mon prochain projet, c’est cela. J’ai un gros chantier devant moi !

 

Claire Bauchart

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