Quel visage pour le travail de demain?

Quel visage pour le travail de demain ?

Quel travail pour demain ? En cette période présidentielle, la question effleure les lèvres de certains prétendants à l’Elysée. Elle était surtout l’objet d’une conférence tenue la semaine dernière au Grand Palais, baptisée « Work is Beautiful. ». Ubérisation de l’économie, bien-être au travail, nomadisation de l’emploi… Comment appréhender ces nombreux changements pour mieux favoriser la performance ? Eléments de réponse.

« Ce qui m’empêche de dormir, ce sont les nouvelles mutations du monde professionnel ». En l’espace d’une poignée d’années, Marion Darrieutort, présidente de l’agence de communication Elan Edelman a été aux premières loges de quelques mutations majeures liées à l’organisation du travail.

« J’ai la chance de piloter une entreprise très agile, car la moyenne d’âge y est de 28 ans », relate cette quadragénaire, ayant fait ses armes notamment chez Lancôme et TBWA Corporate. « Ces millenials m’encouragent à revoir mes modèles, à promouvoir la flexibilité. Bref, ils font bouger les lignes ». Ainsi, Marion Darrieutort travaille avec une vingtaine de freelance. « J’ai actuellement 90% de collaborateurs en CDI et 10% « out » ». Dans quelques temps, je pense que je n’aurai plus que 60% de CDI ».

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Questionner le poids des normes

Une volonté de s’adapter répondant, selon elle, aux aspirations d’une partie des Y et Z. « Ces générations ont une chance : elle ne sont pas encore complètement infusées des modes de fonctionnement d’hier de la plupart des grandes structures, » complète Emmanuelle Duez, entrepreneure fondatrice de The Boson Project, cabinet de conseil spécialiste des problématiques de mutation des organisations. « Ces jeunes disposent donc d’une capacité à remettre en cause les normes, les poids de décennies. » Et notamment cette tendance qu’ont eue leurs aînés de passer une carrière entière au sein de la même entreprise.

De fait, une étude publiée, en 2015, par le cabinet d’Emmanuelle Duez avec BNP Paribas montre que les « Z », ces jeunes nés depuis le milieu des années 90, sont 38% à estimer qu’ils exerceront au moins cinq métiers différents au cours de leur vie. « Les plus grands talents vont même choisir de plus en plus d’être entrepreneurs », affirme la jeune femme.

Grandes entreprises et start-ups : entre adaptation et cohabitation

Cependant, elle ne croit pas pour autant à la fin du salariat, et donc à un monde où tout le monde serait indépendant. « Il n’est pas envisageable d’avoir des tas de start-ups, sans grandes entreprises. Ces-dernières sont les clientes des petites structures », explique-t-elle, rappelant en outre que les grosses organisations continuent d’assurer la majorité de l’emploi et que des tas de profils ne désirent pas migrer vers l’entrepreneuriat. « Pour autant, au cours des vingt prochaines années, l’ancien monde va cohabiter avec la nouvelle économie et se réinventer. »

Car cette nouvelle génération investissant depuis quelques années le monde du travail ne compte pas renier sur certaines revendications, dont certaines n’auraient certainement jamais traversé les esprits de leurs parents. « La génération Y accorde énormément d’importance au fait de trouver son moteur », constate Marion Darrieutort. « Avant, les salariés recevaient une feuille de route et ne se posaient pas la question du sens ». Ainsi, d’après cette dirigeante, nous serions passés d’un monde où chacun cherchait à avoir un emploi à un univers où tout le monde souhaite jouer  un rôle.

Un bouleversement qui, assure-t-elle, est parfois compliqué à appréhender pour les managers issus de l’ancienne culture professionnelle. « Lorsque l’on a évolué dans un modèle top down, il est compliqué de se réinventer facilement, » témoigne la manager. « Un peu comme l’accouchement, personne ne vous prévient des difficultés ! », ironise-t-elle.

Emmanuelle Duez relève quant à elle que si les vieilles entreprises peuvent apporter aux jeunes pousses la « notion de capital immatériel constitué de valeurs, de traditions, de la force acquise grâce au victoires passées », elles n’en demeurent pas moins insuffisamment « agiles. » La prise de conscience des transformations de l’emploi commence à se distiller au sein de ces grands mammouths. Mais leurs collaborateurs doivent comprendre que, s’ils ne se mobilisent pas pour évoluer et adapter leurs techniques de travail, leur futur sera forcément sombre.

Bien-être au travail : tout sauf de la cosmétique

Des entreprises traditionnelles en particulier confrontées à la problématique de la fidélisation des talents, en quête non seulement de sens, mais de bien-être au travail. « Tout le monde parle de « wellness at work», rebondit Marion Darrieutort. « Du coup, certaines structures proposent des séances de yoga, de massage, des corbeilles de fruits », s’amuse-t-elle. Mais là n’est pas l’essentiel :« les gens sont surtout à la recherche de flexibilité ».

Une notion pour l’heure surtout permise par le travail indépendant qui ne cesse de gagner du terrain. Ainsi, dans un rapport publié en mai 2015, l’Organisation internationale du travail (OIT) pointe que le salariat ne représente plus que la moitié de l’emploi dans le monde. « Dans un certain nombre d’économies avancées, on observe une tendance à la baisse de la part des emplois salariés, ce qui marque un tournant par rapport au schéma traditionnel. En revanche, le travail indépendant est à la hausse » précise l’étude.

La protection sociale des indépendants: un fort enjeu pour les femmes

Pour l’heure, « il existe une inadéquation entre les aspirations d’une nouvelle génération de talents et le droit », souligne Emmanuelle Duez. De fait, le lien quasi-inextricable entre protection sociale et statut professionnel constitue un frein majeur aux bouleversements du monde du travail. « Un totem du monde d’hier », souligne la fondatrice de The Boson Project. Dans le cadre de propositions adressées aux candidats à l’Elysée, plusieurs mouvements patronaux, dont Croissance Plus, ont appelé, en septembre dernier, à créer un statut du travailleur indépendant, basé sur un socle de droits rattachés à un travailleur et transférables d’une structure à l’autre.

Marion Darrieutort, ainsi que les autres membres du think tank patronal « Entreprise et Progrès » dont elle est vice-présidente, ont adressé de leur côté une dizaine de propositions aux candidats à la présidentielles. Parmi elles, la tenue d’un Grenelle des travailleurs freelance. Et la directrice d’Elan Edelman de souligner l’importance, pour les femmes, de se pencher sur la question de la protection sociale : « Lorsque vous êtes au RSI (NDLR: régime social des indépendants), un congé maternité, c’est trois semaines, pas quatre mois ou plus. Les femmes ne doivent pas être les laissées pour compte de ces évolutions hors salariat.»

Claire Bauchart

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