Michael Goldman : la mélodie des donneurs

Michael Goldman
Discussion avec le co-fondateur de My Major Company, une plateforme de financement participatif généraliste.

2007. La crise du disque frappe fort. C’est dans ce contexte qu’Anthony Marciano, Sevan Barsikian et Michael Goldman, tous trois venus de l’industrie musicale, créent My Major Company. Le principe : faire émerger de jeunes talents en permettant aux internautes d’investir dans leur production. Un concept à l’origine du succès fulgurant du chanteur Grégoire. Sept ans plus tard, plus qu’un label, My Major Company est aujourd’hui une plateforme de financement participatif généraliste. Discussion autour du crowdfunding avec Michael Goldman..

Comment l’idée de créer My Major Company vous est-elle venue ?

Michael Goldman : On était des producteurs de disques indépendants et on galérait ! Puis, on s’est aperçu qu’un Allemand avait créé un site intitulé « Sellaband » (« vendre un groupe »). On a trouvé ça génial ! On s’est dit : « Leur modèle a des tas de petits défauts. Mais il a quand même une grosse qualité qui est d’être le premier site au monde à proposer à des internautes de s’unir financièrement afin de faire exister un projet. » En l’occurrence, il s’agissait d’artistes. On a pensé que c’était ce qu’il fallait faire. Voilà comment est née My Major Company. Au début, avant de lancer la plateforme, on a forcément fait appel à des artistes que l’on connaissait. C’est devenu ensuite un système ouvert : tous les musiciens pouvaient s’inscrire et ceux qui atteignaient un certain montant étaient produits par le label.

Tout cela a eu lieu en 2007. Depuis, on a suivi l’évolution du crowdfunding. My Major Company est progressivement devenue une plateforme généraliste à l’instar de Kickstarter [NDLR : plateforme américaine de financement participatif], Kisskissbankbank, etc.

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Justement, qu’est-ce qui vous distingue des autres plateformes de crowdfunding ?

Michael Goldman : Nous faisons exactement le même métier qu’Ulule ou Kisskissbankbank [NDLR : les deux autres leaders français du domaine]. Il n’y a pas réellement de distinction, même si notre marque est un peu différente dans le sens où nous sommes nés sur un modèle de label participatif, et avons connu de beaux succès avec ce concept. Du coup, le côté positif est que beaucoup de personnes savent qui nous sommes. L’inconvénient est que nous sommes très marqués musique alors que l’on peut faire de tout sur My Major Company.

My Major Company s’est diversifiée dans le livre en permettant aux internautes de devenir éditeurs, dans le patrimoine, en aidant les sites historiques nationaux à drainer des fonds, ou encore dans le financement de projets entrepreneuriaux avec la plateforme notrepetiteentreprise.com. Est-ce que l’on “crowdfund » tout de la même façon ?

Michael Goldman : Oui. Au fond, le moteur reste toujours le même : les internautes estiment qu’un porteur de projet est suffisamment méritant pour atteindre son objectif. Cela reste le critère numéro un, que l’on soit dans le domaine entrepreneurial, artistique, etc. Après, certaines idées n’ont pas leur place dans le financement participatif : lorsque l’on veut juste s’acheter une voiture, ce qui n’a pas de valeur collective particulière, on n’a pas à avoir recours au crowdfunding. En revanche, quand on compose des chansons, cela a tout son sens.

Concernant notrepetiteentreprise.com, il s’agit d’un site que l’on a lancé avec BGE [NDLR : réseau national d’accompagnement à la création d’entreprise]. En gros, les membres de BGE souhaitaient intégrer le financement participatif aux options proposées aux milliers de patrons qu’ils aident chaque année. Aujourd’hui, avec cette collaboration, nous avons des représentants dans chaque région de France qui reçoivent des dossiers d’entrepreneurs. Lorsque c’est pertinent, ces derniers ont ainsi la possibilité de créer leur projet de financement participatif.

Quels conseils donneriez-vous à un porteur de projet pour faire une bonne campagne de crowdfunding ?

Michael Goldman : Il faut bien comprendre que le financement participatif n’est pas magique. Le vrai leurre est de se dire : « Je vais mettre mon projet en ligne et ça va se mettre à marcher. » Ce n’est absolument pas le cas pour la plupart des dossiers. Je pense qu’à peu près 70 à 80% des soutiens sont issus des premier et deuxième cercles, c’est-à-dire les proches, la famille nucléaire et les amis d’amis. Le crowdfunding permet de mettre en page, de clarifier, d’exposer un projet et d’avoir un support pour communiquer de manière assez officielle.

En somme, si vous êtes à un dîner et que vous dites à tout le monde « je veux ouvrir un bar, d’ailleurs si vous voulez m’aider, faites-le », la plupart du temps, cela ne donne rien. Alors qu’en créant une page de crowdfunding, doublée d’un mail à tous vos contacts, le taux de transformation est assez élevé.

Y a-t-il un profil type de donneur ?

Michael Goldman : Pour l’instant, le crowdfunding reste assez élitiste, même s’il commence à s’ouvrir (les chiffres de croissance sont exponentiels). Mais le donneur est plutôt citadin, a le plus souvent entre 25 et 30 ans, est dans la vie active et fait généralement partie des CSP+. En France, les gros succès du crowdfunding concernent des projets très geek. Les internautes séduits sont alors en grande partie des hommes, jeunes, et pour la plupart assez riches. Il y a beaucoup de codeurs qui gagnent bien leur vie. En ce qui nous concerne, nous prenons un pourcentage sur les collectes lorsqu’elles sont réussies. Si l’objectif financier n’a pas été atteint, nous remboursons les donneurs.

Mettez-vous en garde les internautes en leur conseillant, par exemple, de ne pas investir au-delà d’une certaine somme ?

Michael Goldman : L’avantage du don-contre-don est qu’il ne s’agit pas d’un investissement : c’est vraiment du don. Nous avons fait le choix de mettre en place des garde-fous qui nous servent surtout à contrôler le détournement du crowdfunding à des fins malhonnêtes ou le blanchiment d’argent. A partir du moment où quelqu’un met plus de 1 000 euros sur un projet, nous sommes immédiatement alertés. Nous appelons cette personne afin de nous assurer qu’elle sait ce qu’elle fait, qu’elle a bien intégré les tenants et les aboutissants du système.

Que pensez-vous des récentes annonces de Fleur Pellerin concernant le crowdfunding ?

Michael Goldman : Cela va plutôt dans le bon sens. Mais je ne me fais pas d’illusions. Je comprends surtout qu’il s’agit d’une stratégie de communication. Il y a deux enjeux pour le gouvernement, le premier étant que les Français retirent l’argent de leur Livret A afin de l’injecter dans l’économie réelle. En ce sens, les dirigeants considèrent le financement participatif comme un bon outil et ils n’ont pas complètement tort. L’autre enjeu est de dire publiquement que le gouvernement soutient le crowdfunding. Malheureusement, les choses sont beaucoup plus compliquées que cela. Il y aurait pas mal d’éléments fondamentaux à revoir pour faire de la France un pays « où il fait bon investir », dixit Fleur Pellerin.

Que faudrait-il revoir selon vous ?

Michael Goldman : Lorsqu’une même idée est développée en France et aux Etats-Unis, on n’a aucune chance de s’en sortir chez nous. Même en réussissant très bien dans un domaine, les taux de marge sont faibles car les entrepreneurs sont surchargés et l’emploi coûte trop cher. A succès égal avec d’autres pays, il est plus dur de gagner de l’argent et d’avoir une assise financière forte dans l’Hexagone.

Tanguy de la Fouchardière, vice-président de France Angels, a déclaré : « Les plateformes de crowdfunding brouillent le message en proposant au grand public de s’improviser Business Angel pour 100 euros. Mais elles sont loin d’apporter des compétences comparables à celles de nos réseaux. » Que pensez-vous de cette remarque et quel est votre regard sur les Business Angels ?

Michael Goldman : Chez My Major Company, nous fonctionnons sur le principe du don contre don, comme toutes les grosses plateformes de crowdfunding en France. Le principe est toujours le même : l’internaute donne car il a envie de voir un projet aboutir. Selon le montant versé, il reçoit contrepartie, la plupart du temps symbolique, octroyée par le porteur de projet. Ce que l’on fait aujourd’hui n’entre absolument pas en concurrence avec l’action des Business Angels. On lève des petits montants pour compléter un financement ou pour faire avancer un “side project ». Lorsque l’on cherche 200 000 euros pour monter une entreprise, on ne va pas sur des plateformes de don-contre-don.

Par contre, le gouvernement entend libéraliser le don contre equity, un concept qui existe encore assez peu en France. Le principe : le Français moyen peut mettre 100 ou 1 000 euros dans une société dont il devient actionnaire. Il ne sait donc pas quand il va sortir de la société, quand il va gagner de l’argent. C’est un modèle qui n’a pas encore fait ses preuves d’un point de vue business, et sa portée est assez floue. Cela implique que ceux qui investissent se substituent aux Business Angels. Je comprends donc la méfiance de ces derniers, car devenir actionnaire ne s’improvise pas.

Quel est le concept de Tipeee, la nouvelle plateforme que vous avez lancée fin 2013 ?

Michael Goldman : C’est notre nouveau joujou ! Tipeee est née de plusieurs constats autour de notre activité dans le financement participatif et de mon appétence personnelle pour Internet, YouTube en particulier. J’ai constaté qu’il y avait beaucoup de créateurs avec 200, 300 voire 400 000 abonnés, dont les vidéos sont visionnées par des centaines de milliers de personnes tous les mois. Ces artistes travaillent énormément mais ne gagnent pas du tout leur vie ou alors très peu.

Quand je leur disais qu’ils devraient avoir recours au financement participatif, la plupart me répondait : « Cela cartonnerait car j’ai une communauté solide qui me suit, mais je n’ai pas envie de réaliser un gros projet à 10 000 euros, comme un film, je veux juste continuer à faire ce que je fais actuellement. »

Tipeee est donc la solution pour tous ceux qui créent des contenus réguliers et gratuits sur Internet. La philosophie est quelque peu différente de celle du financement participatif traditionnel car il n’y a pas d’objectif à atteindre. On ne demande pas un gros montant pour financer un projet. C’est juste : « si vous aimez ce que je fais, vous pouvez me tiper, me donner un pourboire (un, deux euros par vidéo) afin de me soutenir et de me permettre de continuer. » C’est à la fois pour les YouTubers, les blogueurs, etc.

Quels sont vos prochains objectifs ?

Michael Goldman : Concernant la partie crowdfunding, on sent qu’il y a un vrai engouement. L’idée est de parvenir à capter cette croissance exponentielle. On est réellement en avance par rapport à d’autres pays européens. Les Français sont particulièrement sensibles aux évolutions et aux usages d’Internet. Ils vont plus vite que les Italiens, les Espagnols ou même les Allemands pour s’approprier les nouvelles options sur la Toile. J’ai beaucoup de mal à l’expliquer moi-même. Mais force est de constater que l’on a trois grosses plateformes de crowfunding en France alors qu’il n’y en a qu’une en Allemagne, une en Espagne et une en Italie. Quant à la partie musique, le label continue de fonctionner.

 

Claire Bauchart

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