Entrepreneuriat social : ces femmes qui changent le monde

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Guidées par leurs convictions, des femmes se mettent au service de l’intérêt général en investissant le secteur de l’entrepreneuriat social, où elles sont proportionnellement plus représentées que dans les entreprises traditionnelles. Quelles sont leurs motivations profondes ? À quels obstacles font-elles face ? Comment envisagent-elles l’avenir ? Regards croisés sur l’entrepreneuriat social au féminin.

L’entrepreneuriat social, quèsaco ?

Sociétés coopératives d’intérêt collectif, associations, mutuelles, coopératives, fondations… Si les entreprises sociales sont disséminées sous différents statuts juridiques, qui varient selon les pays, toutes ont en commun de combiner valeurs et logique économique. Le profit généré par ces structures, souvent caractérisées par une gouvernance collaborative et transparente, n’est pas une fin, mais un moyen de répondre à des problèmes sociaux et/ou environnementaux. En d’autres termes, les entreprises sociales se mettent au service d’une cause à travers la commercialisation de produits et services innovants. Certaines sociétés, dont l’objectif premier reste d’engranger des revenus, sont ainsi exclues de cette définition, quand bien même leur impact social est avéré.

De l’éducation à l’accès aux soins, de la réinsertion professionnelle à l’aide aux pays en développement, du handicap au droit des femmes, le champ d’action des entreprises sociales est vaste. En France, elles évoluent dans la sphère de l’économie sociale et solidaire. Entreprises et associations confondues, celle-ci représente plus de 200 000 entités, 2 millions de salariés, 100 000 emplois créés chaque année et 10 % du PIB. Au Royaume-Uni, qui en comptabiliserait 70 000, selon des données gouvernementales publiées en 2013, les entreprises sociales auraient employé un million de personnes et contribué à l’économie nationale à hauteur de 18,5 milliards de livres.

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Quête de sens et vécu personnel

Tant au niveau européen que mondial, il apparaît que les femmes sont proportionnellement plus représentées dans les entreprises sociales que dans les entreprises classiques. Ainsi, au Royaume-Uni, 40 % des entrepreneurs sociaux sont des femmes. Pour Servane Mouazan, fondatrice d’Ogunte, qui accompagne et connecte les entrepreneures sociales, plusieurs éléments peuvent expliquer cette orientation :

« Un grand nombre d’entre elles viennent du milieu associatif et du charity movement. C’est donc un cheminement naturel. S’il y a un business à monter, elles se tourneront plus facilement vers un projet qui aligne objectifs sociaux et commerciaux. Par ailleurs, au Royaume-Uni, les gouvernements successifs ont principalement fait la promotion de l’entrepreneuriat féminin dans le domaine de l’éducation, de la santé et des arts, où la question sociale se pose constamment et où les femmes intervenaient déjà, souvent de manière bénévole. Cependant, cela masque les performances de certaines femmes aussi très actives dans d’autres secteurs tels que les nouvelles technologies, la manufacture et les transports, moins promus par ces programmes gouvernementaux. »

Cofondatrice d’Activ’Action, qui propose des ateliers ouverts à tous pour lutter contre l’impact psychologique négatif du chômage – notamment sur la recherche d’emploi –, Emilie Schmitt avance une autre piste. Si la présence de ses comparses dans l’entrepreneuriat social relève selon elle de « plein de facteurs conjugués », « certaines caractéristiques considérées comme féminines peuvent se révéler des atouts dans ce secteur. La sensibilité, par exemple, permet de rester au plus près des besoins humains et sociaux. »

Raodath Aminou, qui a créé OptiMiam, une application permettant aux commerçants de vendre leurs produits frais périssables sous forme de promotions à destination des utilisateurs localisés à proximité, estime quant à elle qu’un certain nombre de femmes renoncent à l’entrepreneuriat par peur du risque. « Si jamais elles se lancent malgré tout, c’est parce que les projets font sens pour elles. Moi-même, j’étais dans une quête de sens, je voulais me rendre utile et fonder une entreprise qui apporte une valeur ajoutée dans la vie des gens », explique-t-elle.

C’est une rencontre avec un vendeur de sushis, qui préférait céder ses produits à moitié prix plutôt que de les jeter, qui a poussé la jeune femme, ingénieure de formation, à démissionner de Rothschild Asset Management pour imaginer une solution digitale au problème du gaspillage alimentaire.
Le constat d’un besoin non satisfait peut ainsi jouer un rôle déclencheur.

Pour d’autres, comme Emilie Schmitt, c’est une expérience personnelle – celle du chômage – qui a favorisé le passage à l’acte : « J’ai moi-même vécu la perte progressive d’estime de soi, le fait de commencer à s’isoler socialement pour ne pas avoir à répondre à la fameuse question “qu’est-ce que tu deviens ?“… Alors que j’avais toujours été ambitieuse, je me suis rendu compte que je rêvais de moins en moins grand. J’en ai discuté avec Fabien, mon futur associé, nous nous sommes documentés sur le sujet et nous avons décidé de créer ce dont nous aurions eu besoin pendant notre recherche d’emploi. »

Course d’obstacles

Pour autant, la vie des entrepreneures sociales n’est pas un long fleuve tranquille. Au fil de leur parcours, maintes barrières se dressent sur leur route. A commencer par des freins psychologiques. « J’ai toujours voulu créer une entreprise à vocation sociale. Si je n’avais pas été au chômage, je n’aurais peut-être pas monté ma propre structure tout de suite, car mon plan consistait à intégrer préalablement une boîte déjà existante. Je m’étais autolimitée en me disant que je n’en étais pas encore capable », raconte Emilie Schmitt.

De son côté, Servane Mouazan met l’accent sur les problèmes structurels et d’égalité des sexes. L’enquête WEstart, réalisée par le Lobby Européen des Femmes (EWL) auprès d’entrepreneures sociales de dix pays européens, a révélé qu’au Royaume-Uni, 62 % des femmes interrogées assument des responsabilités d’assistance pour leurs enfants, un membre de leur famille ou une personne extérieure. « La garde des enfants ne devrait pas être une problématique de maman, mais bien de parents. On a beau promouvoir l’entrepreneuriat féminin, si aucun effort n’est entrepris pour l’égalité des sexes et si les campagnes ne s’assortissent pas de la mise en place de structures, de formations et de soutiens financiers, alors rien ne changera », assure la fondatrice d’Ogunte.

Le manque de fonds disponibles et le manque d’accès au financement font justement partie des blocages majeurs rencontrés par les participantes à l’enquête WEstart. Si, comme pour l’entrepreneuriat classique, la question de l’égalité hommes-femmes entre en ligne de compte, les principes qui guident les entreprises sociales rendent aussi certains investisseurs plus frileux. « Des capitaux sont disponibles, mais nous avons une image à peaufiner, affirme Servane Mouazan. Sommes-nous des hippies ? Des activistes ? Est-ce que ces projets ont un avenir ? Est-ce vraiment du business ? Il nous faut prouver plus scientifiquement que ce que nous faisons a de la valeur. »

Un constat partagé par Raodath Aminou sur le plan économique : « Les grandes boîtes du secteur doivent montrer que la rentabilité est réellement possible dans le social. Maintenant que notre business model commence à tenir la route, nous sommes écoutés comme une start-up “normale”. » La jeune chef d’entreprise concède néanmoins qu’évoluer dans le digital a contribué à rassurer les investisseurs. Mais le résultat est là : en comptant l’apport de la Banque Publique d’Investissement (BPI), OptiMiam a récemment levé 800 000 euros.

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L’application OptiMiam entend lutter contre le gaspillage alimentaire

Marché émergent

Sa fondatrice, qui a attendu deux ans avant de se rémunérer, revendique aujourd’hui une équipe composée de « cinq-six CDI et des stagiaires, sans compter les prestataires ». Chez Activ’Action, deux emplois ont été créés, auxquels s’ajoutent autant de services civiques et une centaine de personnes bénévoles, issues de la communauté, formées à animer elles-mêmes des ateliers.

Pour grandir et perdurer, trouver le bon business model constitue le plus crucial des challenges. « Nous avons développé de nouveaux ateliers payants à destination des structures qui soutiennent les publics fortement éloignés de l’emploi – comme les personnes souffrant de toxicomanie ou d’alcoolisme, ou encore les mères isolées –, mais aussi pour les entreprises afin de les aider à accompagner les mobilités internes et externes, qui peuvent se révéler violentes psychologiquement. Nous voulons créer une structure commerciale qui vendra ces ateliers payants et reversera ses bénéfices à l’association », détaille Emilie Schmitt.

Toujours selon l’enquête Westart, outre-Manche, la moyenne d’âge des entreprises sociales dirigées par des femmes s’élève à 2 ans et 22 % d’entre elles génèrent des revenus supérieurs à 100 000 euros par an. Dans l’Hexagone, les business ont en moyenne 4 ans, le revenu annuel moyen des entrepreneures sociales atteint 130 000 euros et la part des revenus provenant du marché s’élève à 40 %.

Peut-on dès lors parler de marché émergent ? Si Servane Mouazan utilise « le mot marché entre guillemets, car il n’y a pas forcément de flux de capitaux qui circulent abondamment », elle reconnaît volontiers que l’entrepreneuriat social fait de plus en plus de bruit et que des initiatives fleurissent de toutes parts pour appuyer le mouvement, aussi bien à l’échelle de l’Europe qu’à celle des pays.

« Ces dernières années, nous faisons un peu moins de soutien direct aux entrepreneures et mettons notre expérience au bénéfice des leaders de réseaux, des business angels, des programmes d’incubation... », confie la fondatrice d’Ogunte. En France, les entrepreneurs sociaux bénéficient également d’un écosystème qui se consolide peu à peu : au label entreprise solidaire et à l’enveloppe dédiée de la BPI, instaurés par la loi Hamon de 2014, s’ajoutent de multiples réseaux (le Mouvement des Entrepreneurs Sociaux notamment), des incubateurs (Antropia, SenseCube…), des plateformes de crowdfunding comme Arizuka, spécialisée dans l’innovation sociale et le développement durable.

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La voie de l’épanouissement

Des efforts doivent encore être déployés pour faciliter l’essor de l’entrepreneuriat social, mais l’avenir du secteur semble dégagé dans un monde en quête de sens – à travers la génération Y notamment –, où les budgets sociaux ont tendance à fondre comme neige au soleil et où le pouvoir citoyen entend se réaffirmer.

Pour Emilie Schmitt, les femmes ont donc tout intérêt à profiter de cette conjoncture favorable pour s’emparer du marché : « A mon avis, il est plus facile de se lancer dans l’entrepreneuriat social quand on est une femme que dans l’entrepreneuriat classique car il y a plus d’espace pour le faire. »

En matière de bilan personnel, les indicateurs sont également au vert. Alors que Raodath Aminou avoue endurer plus de pression, « parce qu’on attend de vous d’avoir la solution à tous les problèmes », elle affirme dans le même temps se sentir plus libre et sur la (bonne) voie de l’épanouissement.

Chargée du déploiement d’Activ’Action à l’international via le réseau Ashoka, Emilie Schmitt se réjouit de l’ouverture d’esprit, toujours plus grande, qu’occasionnent ses multiples rencontres avec des entrepreneurs sociaux issus de cultures différentes. « L’entrepreneuriat social influe sur ma façon de voir la vie, sur mes croyances, sur mon rapport au monde et aux autres. Tout le monde a le mot “solidarité” à la bouche en ce moment, mais quand on crée vraiment de la bienveillance et du respect entre les gens, on ouvre tellement de portes et on libère tellement d’énergies ! Cela m’apporte beaucoup d’espoir en fait », conclut-elle.

Les conseils de Servane Mouazan (Ogunte) :

  1. Avoir un niveau de base en finance, connaître les chiffres, savoir de quoi on parle pour être en mesure de tenir une conversation décente avec quelqu’un dont c’est le métier.
  2. Réseauter, dans le sens être “un connecteur intelligent” : il ne s’agit pas d’accumuler des cartes de visite dans le même secteur, mais de constituer un réseau varié, ouvert, qui permet d’avoir un feedback constant et d’être en apprentissage permanent.
  3. Essayer d’intégrer les conseils d’administration des structures montées par des copines pour apprendre sur le tas.
  4. Trouver la personne qui vous challenge tout le temps et s’entourer de sponsors, plus que de mentors, car ce sont eux qui vous ouvrent les portes, vous recommandent, vous invitent au bon endroit au bon moment. »

Les conseils d’Emilie Schmitt (Activ’Action) :

Dans les moments de doute, j’ai toujours gardé en mémoire la citation de Goethe qui dit que “nos désirs sont les pressentiments des possibilités qui sont en nous”. Si on a rêvé de quelque chose, si on a eu la possibilité de l’imaginer, c’est parce qu’on est capable de le réaliser. Mais pour cela, il est nécessaire de dépasser certains comportements et croyances limitantes intégrés de manière inconsciente.

Les conseils de Raodath Aminou (OptiMiam) :

Il faut que les femmes qui ont envie d’entreprendre tout court et qui ont une idée que personne n’a encore concrétisée osent prendre le risque d’améliorer leur condition actuelle et celle de leurs proches en se disant qu’au mieux, ça marchera, et au pire, ça marchera !

Manon Dampierre

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