Emmanuelle Périé : cap sur la banquise

Emmanuel Perié banquise
Voilà une dizaine d’années qu’elle vogue d’expéditions en expéditions. A tout juste 34 ans, Emmanuelle Périé paraît tout droit sortie d’un roman de Jules Verne. Cette exploratrice des temps modernes peut ainsi se targuer d’être l’une des rares à avoir plongé sous la banquise arctique.

Comment avez-vous eu l’idée de devenir exploratrice, vous qui avez grandi en Champagne, bien loin donc de l’océan ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été passionnée par les cétacés, les dauphins, les baleines. Un soir de Noël (je devais avoir 12 ans), j’ai vu un reportage diffusé dans le cadre de l’émission Ushuaia. On y montrait notamment des enfants qui partaient en itinérance sur des bateaux-écoles. J’ai trouvé cela fabuleux et j’ai réussi à convaincre mes parents de tenter les sélections. J’ai été prise et je suis partie naviguer six mois entre l’Angleterre et le Maroc. On faisait de la plongée en apnée, on tenait un journal de bord etc. On apprenait énormément de choses. C’était l’année de ma troisième, j’avais 13 ans. Après cette expérience, je suis retournée vivre quelques années en Champagne, ce n’était pas facile ! Mon envie d’être en mer était plus forte que tout.

Vous décidez ainsi très tôt de consacrer votre existence à l’exploration et à la découverte de l’océan. Mais avant cela, vous devenez éducatrice sportive de voile et de plongée.

J’ai passé mes épreuves du baccalauréat en Champagne et dès le lendemain, je suis partie en Bretagne. Au début, je ne savais pas tellement quoi faire, je me suis un peu cherchée. Puis, j’ai entendu parler d’une formation professionnelle à l’école de voile des Glénans, située sur l’archipel du même nom au large de la Bretagne. Cela permettait de passer le diplôme de moniteur de voile. C’est ce que j’ai fait. J’ai ensuite été embauchée au sein de cette école. Pendant cinq ans, je me suis ainsi occupée de la formation. Jusqu’au jour où, dans le cadre de mon travail, j’ai rencontré un collègue qui m’a dit : « tu ferais bien l’affaire sur la prochaine expédition de Jean-Louis Etienne. » J’ai tout de suite été partante !

Vous rencontrez ainsi Jean-Louis Etienne, connu pour ses expéditions arctiques et antarctiques. Vous avez alors 25 ans. Il va vous mettre véritablement le pied à l’étrier !

Oui. Je suis partie neuf mois dans le cadre de l’expédition Clipperton. Je suis restée quatre mois et demi sur l’atoll de Clipperton (océan Pacifique) avant de revenir en bateau. C’est à ce moment là que j’ai découvert la plongée sous-marine.

Lors de cette expédition, en 2005, vous fêtez vos 26 ans. A cette occasion, Jean-Louis Etienne et sa femme vous offrent un livre sur les Pôles avec à l’intérieur, cette phrase : « Va au bout de tes rêves, même si le chemin est difficile. »

Ils m’ont offert mon équipement de plongée et puis effectivement ce livre avec cette dédicace. A cette époque, je me demandais encore si j’allais reprendre un travail normal, c’est-à-dire un poste en CDI de responsable nautique en France.  Jean-Louis, de son côté, m’a pas mal poussée à aller au bout de mes envies qui étaient notamment de découvrir l’Arctique. Il faut dire qu’au cours de l’expédition, il m’avait montré des photos des régions polaires. Cela m’a donné très envie d’aller les découvrir ! Je suis donc rentrée en France avec l’idée fixe de repartir naviguer mais dans les régions du Pôle cette fois-ci. Avant de relever l’ancre, j’ai tout de même entamé ma formation professionnelle de plongée sous-marine. C’est là que j’ai rencontré mon compagnon Ghislain Bardout (ingénieur mécanicien spécialisé dans l’énergie, également explorateur).

Vous ne resterez pas longtemps à terre. Dès 2006, vous repartez pendant près d’un an et demi sur un voilier pour explorer la Norvège et le Spitzberg, l’île principale du glacial archipel norvégien de Svalbard.  Quels genres d’émotions ressentez-vous dans des conditions si extrêmes ?

A l’époque, j’étais complètement dans la découverte, donc je m’émerveillais de tout. J’ai trouvé la Norvège fabuleuse. Quant au Spitzberg, c’est un endroit qui est très peu habité, où il y a énormément de faune locale en particulier des ours polaires, des bélugas (cétacés blancs de l’océan Arctique). C’était vraiment extraordinaire. Même si bien sûr, de part le manque de repos, j’étais fatiguée, d’autant que j’étais dans des régions très froides. Ce n’est pas non plus comparable avec le froid que l’on peut avoir au Pôle Nord mais disons que c’était une très bonne première approche !

Mars 2010 marque le début de Deepsea Under The Pole. Cette expédition de huit personnes, menée par votre compagnon Ghislain Bardout, a nécessité trois années de préparation et avait pour principal partenaire ROLEX. L’objectif était de réaliser un reportage inédit sur l’univers sous-marin de la banquise Arctique, située à proximité du Pôle Nord géographique. Cela a notamment donné un film de 52 minutes intitulé « On a marché sous le Pôle », fruit des plongées réalisées avec vos co-équipiers.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous vous êtes immergée pour la première fois dans ces eaux polaires à -1,8 degré, la température à laquelle l’eau de mer gèle ? 

Ma première plongée a été mémorable : ma combinaison a pris l’eau ! J’ai eu extrêmement froid ! Mis à part cet incident, je dirais que l’on oublie assez rapidement l’inconfort dû aux conditions de ces plongées car ce que l’on voit est absolument irréel et beau ! Je n’irai pas jusqu’à dire que l’on fait abstraction du froid mais on se laisse complètement happer par la magie des lieux.

Combien de temps ces plongées duraient-elles ?

C’est assez variable. En ce qui me concerne, je ne crois pas avoir plongé plus de 45 minutes. J’avais des gelures et je souffrais pas mal du froid. Les autres plongeurs de l’expédition passaient en moyenne une heure sous l’eau. Parfois, Ghislain a fait des plongées de 90 minutes, mais c’était un maximum.

Emmanuelle Périé en plongée

Après chaque plongée, le nettoyage du matériel prenait trois heures !

En sortant de l’eau, il faut tout réchauffer. C’est extrêmement long.  On utilisait notamment un décapeur thermique pour dégivrer le matériel, voire nous réchauffer un peu nous-mêmes !

Cette expédition a duré 45 jours au lieu des trois mois initialement prévus. En cause notamment, les conditions météorologiques. Après dix jours d’expédition, la température est passée brutalement d’une moyenne de – 40 °C à -1°C.

En quoi cette hausse de la température a-t-elle rendu votre progression difficile ?

Au départ, nous devions rester environ 80 jours sur la banquise, puis un mois sur la côte lorsque nous l’aurions atteinte. Nous savions que ce serait compliqué. Une fois sur place, au bout d’une dizaine de jours, la température s’est élevée brutalement et la glace a explosé autour de nous. Même si elle a regelé par la suite, cela a rendu le terrain très chaotique. Il nous a ainsi été compliqué de continuer d’avancer autant que nous l’espérions. Nous avons donc dû nous faire récupérer sur la glace, ce qui n’a pas été chose facile ! Il a fallu trouver un pilote qui accepte de venir, une fenêtre météo correcte et un endroit pour faire atterrir l’avion. On a mis une quinzaine de jours à réunir tous ces facteurs.

Au regard de la vitesse de fonte de la banquise, pensez-vous que les paysages que vous avez vus il y a trois ans existent encore ?

Je pense que oui. En revanche, ce qui est certain c’est que plus la banquise va fondre en été, plus on va se retrouver avec une glace qui ne se forme qu’en hiver. Ce ne sera plus une glace qui aura plusieurs années. Or, ce qui crée ces paysages splendides, c’est justement la vieille glace, constituée de plusieurs épaisseurs. Les images que l’on a faites ne seront donc plus les mêmes dans dix ans. De la même manière, les images que l’on aurait faites il y a 20 ans auraient été encore certainement beaucoup plus impressionnantes.

Cette expédition a-t-elle été plus difficile que ce à quoi vous vous attendiez ?

Pour Ghislain et moi qui l’avions préparée pendant presque trois ans, elle a été à la hauteur de ce que l’on attendait. Nous étions extrêmement bien préparés à la fois physiquement et mentalement. Je dirais même que le mental est presque plus important dans ces cas-là. Nous savions que ce serait très difficile ne serait-ce que de vivre sur la banquise. Rajouter la plongée représentait une difficulté supplémentaire.

Vous est-il arrivé d’avoir des moments de découragement ? 

S’il y en a eu, ce n’était pas des gros ! Lors des premiers jours sur la glace, ce n’était pas du découragement mais de la souffrance pure à cause du froid.

Dans ce genre de contexte, souffrez-vous pour la beauté du paysage ?

Je fais cela avant tout pour l’aventure car j’aime partir en expédition. Egalement aussi pour la beauté des plongées ! Mais dans le cadre de Deepsea Under The Pole, il fallait accepter de souffrir du froid et le le faire sans se plaindre, en continuant d’avancer afin de ne pas être un frein au reste de l’équipe. C’était vraiment cela la difficulté. Chacun devait faire un peu abstraction de ses maux personnels pour que le groupe avance.

Lorsque l’on évolue dans des conditions si rudes, la joie que l’on éprouve est-elle à la mesure de la cruauté de l’épreuve ? A-t-on le sentiment d’aller au bout de soi ?

Oui tout à fait. Mais de manière générale, j’ai tendance à considérer qu’il y a deux expéditions. La première commence au moment où l’on imagine un projet et où  on essaie de le mettre en œuvre. Quand on a été déposé sur la banquise avec l’équipe, Ghislain et moi avons regardé l’avion s’éloigner : nous avions enfin terminé cette première expédition. C’est tout ce travail en amont qui faisait que l’expédition en elle-même a été une succession de purs moments de bonheur, du fait de tout le chemin parcouru pour en arriver là.

Lorsque vous étiez sur la banquise ou que vous faisiez des plongées, vous disiez-vous que vous pourriez potentiellement ne pas revenir du Pôle Nord ?

Je ne suis pas du tout une tête brûlée. Pour cette expédition, il y avait un risque inhérent au terrain, à l’isolement, ainsi qu’à certaines choses que l’on faisait. Mais je ne ressens aucun plaisir dans le danger et de fait nous avons plutôt eu tendance à le limiter au maximum. Il est vrai que le commun des mortels a l’impression que nous nous mettons facilement en danger. Mais en réalité, nous avons l’expérience qui nous permet de mesurer le risque réel.

Concernant les dangers spécifiques aux plongées, je pense que les membres de l’expédition ne donneraient pas tous la même réponse. Par exemple,  Ghislain était extrêmement à l’aise et cela lui a permis de faire des plongées avec beaucoup plus d’éloignement et de pénétration dans la glace que moi. Chacun a sa propre conscience de ses limites et nous étions très honnêtes les uns vis-à-vis des autres avec cela. Pour ma part, dès que je me sentais mal à l’aise, je faisais demi-tour. Ce n’est pas comme une plongée en mer où s’il y a un problème, on remonte à la surface. Quand on est sous la glace, il faut retourner à son point de départ. Cela demande de pouvoir garder son sang-froid et du self-control en toutes circonstances.

Emmanuelle Perie chien
©Ghislain Bardout / Deepsea Under The Pole by Rolex

Quel a été le moment le plus fort de votre carrière d’exploratrice ?

Oh là là c’est difficile ! J’ai des souvenirs fantastiques de chaque projet ! J’ai eu d’immenses moments de bonheur lorsque je travaillais pour Jean-Louis Etienne sur l’expédition Clipperton. C’était une expérience incroyable à l’âge que j’avais et j’en étais pleinement consciente. Mais l’expédition Deepsea Under The Pole est certainement celle dont je garde les souvenirs les plus puissants. C’est certainement l’un des plus grands accomplissements dans ma vie car il s’agit d’un projet personnel avec Ghislain.

Lors de l’expédition Deepsea Under The Pole, vous étiez la seule femme sur le terrain. Cet élément a-t-il été difficile à gérer ?

Non, car les membres de l’équipe étaient des types bien. Je n’ai pas eu de problème avec eux. Il y avait notamment mon compagnon et mon meilleur ami. Ceci-dit, pour l’expédition que l’on prépare en ce moment, j’essaie de faire en sorte de féminiser un peu plus l’équipe! On en a la volonté mais ce n’est pas si simple de trouver des personnalités féminines qui n’ont pas encore d’enfants et qui peuvent partir.

On parle beaucoup des explorateurs, beaucoup moins des exploratrices. On cite ainsi souvent Jacques Cousteau alors qu’à la même époque l’océanographe française Anita Conti a elle aussi œuvré pour faire découvrir la mer. Comment expliquez-vous que les femmes soient moins représentées que les hommes dans le domaine de l’exploration ?

Je pense qu’elles le sont moins car pour faire partie d’une expédition, il faut de l’expérience. Les femmes qui ont justement les capacités requises sont celles qui ont déjà des vies de famille. Du coup, il est moins facile pour elles de faire ce genre de choses. Ce n’est absolument pas une histoire de capacités physiques ! Peut-être aussi que certaines femmes mettent du temps à admettre qu’elles peuvent réussir là où les hommes se posent beaucoup moins de questions… Mais il faut souligner qu’il y a tout de même un certain nombre de femmes exploratrices. Sylvia Earle par exemple, une océanographe et exploratrice américaine. Ou dans le domaine de la voile Ellen MacArthur dont on parle beaucoup !

Quelles sont les femmes exploratrices que vous admirez ?

Il y a notamment Ella Maillart (exploratrice suisse), Léonie D’Aunet (exploratrice française du XIXème siècle) et Ellen MacArthur pour la voile. Il y a aussi tout  un tas d’hommes, voyageurs, explorateurs qui me fascinent également. Je ne fais pas vraiment la différence !

Vous vous préparez à repartir en Janvier 2014 pour une autre expédition, de nouveau avec votre compagnon. Cette mission devrait durer 22 mois et se dérouler au Groenland. Quels en sont les buts précis ? 

Cette fois-ci, nous partons avec un grand voilier. Ce sera une expédition à la fois centrée sur la recherche scientifique et sur un travail audiovisuel avec la réalisation de documentaires. Les neuf premiers mois vont être consacrés à la remontée de la Côte Ouest du Groenland avec des plongées régulières et de plus en plus profondes. Il devrait y avoir beaucoup de mammifères marins en surface. Ensuite, lorsque nous arriverons au Nord du Groenland, nous mettrons le bateau au fond d’un fjord. Il sera ainsi pris dans les glaces.  Quand le printemps arrivera,  une équipe de chasseurs Inuits viendra chercher certains de nos plongeurs. Ils continueront une autre expédition au Nord du Groenland là où le bateau ne peut pas aller. Cela devrait durer quatre mois. A leur retour, le bateau sera libéré des glaces et nous reviendrons.

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