Anne Fontaine, la militante

Anne Fontaine success story d'une militante créant sa première collection à 22 ans, un mélange de génie, de douceur et d'authenticité.

Elle crée sa première collection à 22 ans et rencontre un succès immédiat. Anne Fontaine, la créatrice des fameuses chemises blanches, est un mélange de génie, de douceur et d’authenticité. Mais qui est cette autodidacte que rien ne prédestinait à la mode ? Interview.

Avant « Anne Fontaine », que faisiez-vous ?

J’étais une vraie militante pour l’écologie. Je suis née au Brésil et j’avais à cœur de défendre la cause de la forêt amazonienne, je voulais sauver le monde ! Je me suis alors lancée dans une expérience de vie incroyable puisque je suis allée vivre chez les indiens d’Amazonie. J’ai vraiment vécu des choses extraordinaires à leurs côtés. Pour l’anecdote, sachez que j’ai même été baptisée par cette tribu : j’ai été emplumée en blanc ! J’étais déjà destinée pour cette couleur (rires). Anne Fontaine

Après cette expérience incroyable, que faites-vous ?

J’arrive en France pour faire mes études de biologie dans le Sud, je fête tout juste mes 18 ans. C’est difficile pour moi à cette époque de me retrouver dans une université après avoir vécu en plein cœur de la nature, en totale liberté. Peu après, j’ai trouvé un bateau de recherche financé par le prince Rainier qui a bien voulu m’engager pour faire de la recherche sur les baleines en Méditerranée. Un parcours loin de la mode…

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Comment en arrivez-vous à la mode alors ?

Je dis toujours que je suis arrivée à la mode par amour. J’ai en effet rencontré mon mari, qui était dans la mode industrielle, et qui était déjà spécialisé dans la chemise. Il avait en effet hérité d’une petite affaire de ses parents.
Un jour, j’étais chez ma belle-mère et je fouille dans le grenier. J’adore faire ça ! Dans une grande malle, je découvre toutes les chemises que son entreprise avait réalisées. Je me suis dit : « et si je faisais la même chose pour la garde-robe féminine ? Il y a la petite robe noire. Je vais faire pareil avec la chemise blanche et elle deviendra un essentiel du vestiaire féminin. »

Vous vous arrêtez sur la chemise en particulier, pourquoi ?

Cela rejoint encore mon côté militant. Pour moi, c’était une façon de sauvegarder le savoir-faire de cette usine, de sauver la couture française ! C’était une nouvelle cause pour laquelle je pouvais militer. Je suis une vraie militante, j’ai besoin de ça pour vivre !
Aujourd’hui, la chemise blanche est revenue sur les podiums et s’est imposée comme un incontournable.

Se lancer sur un seul produit, c’était osé… Vous avez fait une étude de marché au préalable ?

Vous savez, tout ce que j’ai vécu dans ma vie est arrivé par destinée. Je n’ai pas du tout étudié le marché. Je n’avais même pas encore de département marketing il y a un an, c’est vous dire ! La chemise blanche est vraiment venue naturellement. Pourtant tout le monde nous disait que c’était risqué, que c’était un sacré pari, que ça n’allait pas durer… Mais 20 ans plus tard, nous sommes toujours là !

Comment expliquez-vous votre succès ?

Je pense que lorsque l’on crée quelque chose de nouveau, que l’on fait tout ce qu’il faut pour que ça marche, on reste dans le temps. C’est le cas de Ralph Lauren avec son polo ou encore de Chanel avec sa petite veste noire. Aujourd’hui, les gens ont tendance à copier les autres. Ils prennent une vague mais cela ne dure jamais bien longtemps.
A l’époque où nous avons décidé de lancer la chemise blanche, elle était comme inexistante, morte sur les podiums ! Nous ne sommes pas passés inaperçus parce que j’ai créé quelque chose de visible. Les gens se posaient des questions en passant devant la vitrine, entraient par curiosité… Je dis toujours à ceux qui souhaitent se lancer qu’il faut créer quelque chose de spécifique, trouver un point fort pour sortir du lot. Une fois que vous êtes reconnu pour un produit, votre clientèle voudra vous voir dans d’autres univers.

Votre première boutique voit le jour en 1994 et vous vous internationalisez très vite…

L’internationalisation est pour moi une évidence. J’ai une double culture déjà puisque ma mère est brésilienne et mon père français. J’ai une grande facilité pour m’adapter à différentes cultures. J’aime la notion du « monde » : nous vivons sur une même planète. J’ai toujours une vision « planétaire » plus qu’ « individuelle ». L’internationalisation fait peur à beaucoup d’entrepreneurs, pas à nous. D’ailleurs, après avoir ouvert notre boutique en France, nous en avons ouvert une au Japon l’année suivante !

Puis vient la conquête des États-Unis ?

Un jour, une Américaine est venu nous voir pour importer notre concept aux États-Unis mais elle n’avait ni boutique, ni argent. L’année d’après, elle avait les deux ! Elle nous a proposé d’ouvrir une boutique ensemble à Dallas. Nous ne connaissions pas encore le marché américain, nous avons donc décidé de le tester mais sous un autre nom. Nous avons alors appelé la boutique « La chemise blanche », avant de mettre la marque sur le marché, ça a plu tout de suite ! Nous sommes restés 4 ans là-bas, puis avons créé notre filiale aux États-Unis et ouvert à Boston.

Pourquoi ne pas ouvrir à New York directement ?

Les loyers new-yorkais nous affolaient ! Nous avions peur que cela ne marche pas suffisamment pour pouvoir assumer ces coûts. Nous avons donc décidé d’être prudents et d’ouvrir à Boston. Nous étions à côté d’Hermès et les loyers étaient plus accessibles ! C’est aussi une ville plus « européenne », ce qui nous donnait un peu d’assurance.

Vous avez vos boutiques, vous créez désormais vos collections. Comment faites-vous ?

Soit je m’enferme pendant une semaine, je laisse mon esprit « divaguer », je mets de la musique (de la bossa notamment) et je dessine entre 500 et 700 modèles. Mais attention, je ne dessine jamais sur une feuille de papier vierge : je crayonne sur des brouillons car je ne peux pas consommer le papier comme ça.
Soit, j’ai déjà choisi mes tissus et je vais sculpter directement sur le mannequin. Je trouve alors les formes de la chemise et je la dessine ensuite. J’ai toujours un cahier de notes sur moi dans lequel j’écris mes idées. La vie m’inspire ; j’adore la vie !

Comment choisissez-vous les modèles qui seront fabriqués ?

C’est le moment le plus difficile et le plus frustrant. Je dois déjà choisir des coupes viables commercialement parlant. Il y a aussi une autre façon de procéder qui consiste à aller piocher dans les classiques de mes collections que je réinvente chaque saison, comme la chemise à jabot ou à double col. Par ailleurs, j’ai lancé la collection « Les Précieuses » qui me permet de me libérer des contraintes commerciales, de donner libre cours à ma création et de sauvegarder le travail des artisans français et italiens. Ce sont des familles qui travaillent depuis des générations et des générations… J’adore cette notion ! Même si nous possédons de nouvelles techniques, il y a des savoir-faire que l’on ne peut pas reproduire avec les machines modernes.

Après les chemises, vous vous diversifiez en 2004… Vous en aviez assez de la chemise blanche ?

Non, j’adore créer la chemise blanche. J’ai une capacité de création très importante et j’ai eu envie de faire plus, de donner davantage à mes clientes. J’ai créé des accessoires dans l’idée d’habiller la chemise : elle reste le point de filature. Je viens donc ajouter un sautoir, des ceintures, des boutons de manchettes… Je tourne autour d’elle. Ensuite, je suis passée à la maroquinerie.
Et cette année, j’ai pensé ma collection hiver dans son ensemble, pour une silhouette complète.

Les boutons de manchettes, une autre pièce du vestiaire masculin. Pourquoi ?

La chemise provenait déjà de l’univers masculin, c’est vrai. J’aime cette ambiguïté, l’équilibre à trouver entre notre part de féminité et de masculinité. Et je trouve très sexy de jouer avec ces deux pans dans nos tenues.

N’est-ce pas votre côté militant qui surgit de nouveau, plutôt féministe cette fois ?

(Rires) Peut-être oui ! Ce que je n’aime pas aujourd’hui par exemple, ce sont ces femmes d’affaires qui se « masculinisent » trop. Elles peuvent garder leur féminité tout en étant des femmes dirigeantes. Inutile de jouer aux hommes !

Des projets en cours ?

Nous en avons toujours beaucoup ! Mais celui qui me tient particulièrement à cœur : l’ouverture d’une boutique Anne Fontaine dans mon pays, le Brésil. Mais c’est très compliqué.
Nous avons aussi ouvert notre bureau en Chine, créé notre filiale et allons passer à la vitesse supérieure. Nous venons de trouver quelqu’un pour s’occuper de la marque là-bas. Nous pensons toujours que nous pouvons tout faire nous-mêmes mais c’est un leurre. Il faut prendre quelqu’un de la culture locale quelque soit l’endroit dans lequel on s’implante. Sans cela, c’est l’échec. Le secret est vraiment de travailler main dans la main avec les gens qui ont la culture locale.

Où vous voyez vous dans 20 ans ?

J’aimerais vraiment créer une vraie maison de couture. Il faut 50 ans pour cela. Nous sommes encore jeunes, nous n’avons que 20 ans… Nous avons déjà une certaine renommée mais je ne peux pas encore dire que nous sommes dans la couture traditionnelle.
J’espère aussi que la fondation que j’ai créée pourra prendre de l’importance en elle-même car elle est très importante à mes yeux. Il était inévitable que je revienne à mes premières amours : la défense de la Nature. Je me suis donc engagée auprès de l’ONU et nous plantons des arbres au Brésil. Ma fondation lie la mode et l’art. C’est une bonne façon de sensibiliser les gens férus de ces univers à la nature. Résultat : nous avons planté 100 000 arbres l’année dernière !

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